1. Bonne élève


    Datte: 23/05/2025, Catégories: fh, hplusag, caférestau, fsoumise, revede, init, rencontre, Auteur: Roy Suffer, Source: Revebebe

    ... fait huit à dix parts.
    — Mais c’est ce qu’il me faut ! Moi qui remplace la viande par des œufs…
    — Ah ? À ce point ?
    — Eh oui. Imaginez, mille deux cents euros par mois, cinq cents de loyer, pour vint-cinq mètres carrés, les charges, les assurances, le téléphone, le chauffage… Bref, il me reste en gros deux cents euros, cinquante par semaine. Et pour quatorze repas et sept petits déjeuners, il ne faut pas s’écarter. Pâtes, riz, pommes de terre, jambon blanc, œufs, sardines, c’est mon quotidien. D’autant que je m’accorde, comme vous avez vu, une salade composée par semaine à la brasserie de la gare avec ma collègue, chacune son tour de débourser vingt euros.
    — Ah, le temps des vaches maigres. Mais ça va évoluer.
    — Aucune chance, ou si peu. La plus ancienne, au bout de vingt ans, ne touche que mille quatre cents euros. Alors qu’un prof des écoles commence autour de deux mille euros. Oh, ce que je regrette…
    — Il n’est jamais trop tard. On en manque, on recrute à tour de bras…
    — Oui, mais il faut faire une préparation. Il y a des sujets parfois sur l’histoire de l’éducation, sur la pédagogie, des choses dont j’ignore tout.
    — Tu sais, j’ai été rappelé il y a deux ou trois ans pour surveiller les écrits du concours. J’ai dit, pourquoi pas ? J’avais une salle de soixante candidats à surveiller en binôme avec une collègue. Eh bien, sur soixante, il n’y avait que dix-neuf présents.
    — Non, c’est vrai ? Mais pourquoi ?
    — Si si, je te le dis. Les étudiants s’inscrivent à ...
    ... plusieurs concours, ou au même concours dans plusieurs départements, ou réfléchissent entre l’inscription et l’épreuve… En tout cas, il est sûr que le recrutement a dû se faire sur la base de huit ou neuf sur vingt, faute de combattants.
    — Oh… Il faut vraiment que je le fasse, j’ai mes chances, alors. Je pensais que c’était très élitiste.
    — Ça l’a été, autrefois. Et puis, c’est devenu méprisé parce que pas assez rémunéré, d’où une majorité de femmes dans l’enseignement. Ensuite, on a critiqué ces « salauds de fonctionnaires » qui traversent les crises sans redouter le chômage. Et puis quand ça va mieux, ces métiers sont de nouveau dénigrés.
    — Là, pourtant, on ne peut pas dire que ça aille vraiment bien…
    — Oui, c’est vrai. Mais il y a aussi un facteur qui a joué. Le métier d’instituteur, du temps des Écoles Normales, était un ascenseur social pour des enfants d’agriculteurs ou d’artisans qui accédaient au rôle magnifique de transmission du savoir. Peu payés, mais logés et chargés de transmettre les valeurs de la République. Pour mieux les payer, on a inventé le concept très parisien de couloirs de ministère de « Professeur des écoles », confié comme il se doit aux universités. Plus d’ascenseur social, sinon en descente. Tous les étudiants des voies sans issue s’y engouffrent pour que leurs diplômes de pacotille servent au moins à quelque chose. Un pis-aller, mais plus de vocation d’enseigner, une sorte de job à mi-temps. Parce que vingt-cinq heures trente par semaine pendant ...
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