Dylanesque
Datte: 22/05/2025,
Catégories:
fh,
jeunes,
amour,
nostalgie,
portrait,
amitié,
Auteur: Amarcord, Source: Revebebe
... marcher les poings enfoncés dans mes poches. Elle insista pour m’entraîner au milieu de la chaussée, où les voitures étaient rares à s’aventurer, se plaça à ma gauche, s’accrocha à mon bras et prit un selfie dont elle me montra le résultat.
— Ça ne te rappelle rien ?
— Si, qu’il est temps que je tape ma mère pour un petit budget textile, mais à part ça…
— Réfléchis bien. La pochette d’un disque. L’un de mes préférés.
— D’accord. Facile.The Freewheelin’ Bob Dylan. Lui et Suze Rotolo dans une rue verglacée du West Village, en février 1963. Mon idole.
— Tu rigoles ?
— J’en ai l’air ?
— De Dylan, pas tout à fait. Mais je suis scotchée. J’ai tous ses disques, même les bootlegs. Et même les mauvais…
— Collectionneuse ?
— Ah non, surtout pas, qu’est-ce que c’est chiant ! Mais dylanesque ou plutôt dylanienne, oui, j’assume.
Ça nous faisait une passion commune, et le début d’une conversation de fans qui ne cesserait jamais. Et puis on parla un peu de nos études. Les miennes à Sciences-Po, les siennes de styliste à Art Deco, dont elle avait réussi le concours après s’être égarée en droit. Ce qui expliquait le goût si sûr avec lequel elle s’habillait. Sa vraie vocation était plus artistique encore, elle peignait. Mais ses parents n’étaient pas trop rassurés par une carrière aussi aléatoire.
La neige crissait sous nos pieds, nous marchions d’un bon pas, exhalant une fine buée à chaque expiration, le froid avait rosi ses pommettes, les rendant à croquer. Nous fîmes une ...
... première halte pour regarder les gosses qui dévalaient les pentes en criant sur leurs luges. Une deuxième au Chalet des Gaufres, où j’insistai pour payer la sienne au Nutella, la mienne au sucre, et deux chocolats chauds. Elle sortit de son sac un petit bloc de papier Canson à spirale, un crayon gras, et se mit à croquer l’endroit, en traits nerveux.
— Ton carnet de voyage ? Tu me le montreras ?
— Si tu es sage. Ou plutôt si tu tiens la pose, me dit-elle, alors qu’elle m’avait manifestement pris pour sujet.
— C’est un peu embarrassant…
— Pourquoi, tu as peur que je te mette à nu ?
— Que ne ferait-on pas pour l’amour de l’art ?
Ses yeux quittèrent le carnet, pétillants, et son visage s’illumina de ce sourire désarmant, d’autant plus merveilleux qu’il ne devait rien à l’orthodontie : une de ses canines légèrement désalignée rétablissait la véritable définition de la perfection, ce minuscule soupçon d’exception à la norme qui forme la touche de génie. Elle me tendit le bloc.
— Tu te reconnais ?
— Je suis flatté.
— Tu es trop modeste.
— C’est pour moi ?
— Non, désolée. Collection très privée. Mais tu peux me le dédicacer, en revanche.
— D’accord, c’est bon pour une fois, dis-je en saisissant le crayon. Mais un beau jour, j’espère remporter l’enchère.
— Marché conclu. J’approfondirai le sujet.
Elle fronça les sourcils en déchiffrant mon écriture, me fixa, garda le silence, puis me voyant grelottant, elle frissonna elle aussi et nous décidâmes tacitement de ...