Dylanesque
Datte: 22/05/2025,
Catégories:
fh,
jeunes,
amour,
nostalgie,
portrait,
amitié,
Auteur: Amarcord, Source: Revebebe
On ne s’était jamais dit rendez-vous dans dix ans.
D’abord parce que ma bande de potes n’imaginait pas un instant qu’on puisse se perdre de vue aussi vite. Et puis à tout prendre, on aurait évité la Place des grands hommes de la chanson, et sa grandiloquence minérale. Nos Panthéons étaient moins solennels. Ils étaient juvéniles, musicaux, studieux, pompettes ou bohèmes, mal réveillés autour d’un café serré, moqueurs autour d’un flipper, somnolents dans un auditoire, charmeurs à la bibliothèque, nocturnes et bienveillants au moment d’une confidence ou d’une peine de cœur révélée entre deux sarcasmes.
Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi la République s’entêtait encore à maltraiter les reliques de ses saints laïques, en les déterrant parfois d’un cimetière champêtre et familier pour les exiler ensuite dans cet austère et glacé mausolée de pierre. Ou plutôt si, je sais parfaitement pourquoi : il y a le symbole, bien sûr, et le symbole est l’otage du politique. C’est le sous-texte politique qui conduit l’attelage funéraire, le symbole n’occupe que la place du mort. Messieurs-Dames les communicants, laissez-moi vous mettre en garde : non seulement ces canonisations laïques ne sont-elles plus de notre temps, mais elles vous exposent au risque de devoir bientôt gérer un sacré trafic alterné devant les catafalques, dès qu’un biographe un peu plus curieux s’apercevra que l’illustre bienfaiteur public était un satyre au privé, ou que l’exemplaire figure féminine ne ...
... l’était pas tant. Quand l’époque convoque volontiers devant des tribunaux posthumes, la concession n’est plus garantie à perpétuité. Et puis de toute façon, par pitié, laissez nos meilleurs morts reposer en paix, leur gloire ne tient pas au vain prestige de leur sépulture. Ou alors, ayez au moins la miséricorde d’organiser la supercherie : que le cercueil soit vide, que leur dépouille se dissolve dans la glaise de leur terre natale ou d’élection, elle est plus légitime que le marbre.
Je suis certain d’en avoir déjà discuté alors avec passion, avec mes potes d’université et du Quartier latin, voilà une décennie. Quel âge avions-nous à l’époque ? À peine un peu plus du double du temps qui nous en sépare… À l’époque, le dernier fils méritant de la Patrie à avoir été admis en grande pompe à la morgue nationale avait été Alexandre Dumas. Marie, l’Antillaise, y avait été plutôt sensible : non pas tant par solidarité vaguement tropicale envers le fils d’un glorieux général révolutionnaire natif de Saint-Domingue, mais parce que pour un quarteron, la bêtise raciste avait dû se révéler un adversaire quotidien et majoritaire. Sammy et Malick avaient eux aussi approuvé.« Tant mieux ou tant pis pour lui, et tant mieux si ça vous fait plaisir, c’est d’ailleurs calculé pour ça, mais ne vous contentez pas de si peu, exigez plus que les symboles ! » Et j’avais dû bien vite les saouler avec mon petit laïus leur expliquant qu’à terme, il faudrait construire une annexe à la nécropole pour mieux ...