1. Dorothée ou les dérives de l'aventure


    Datte: 10/01/2025, Catégories: hagé, couleurs, Collègues / Travail plage, amour, revede, fantastiqu, sorcelleri, Auteur: Samir Erwan, Source: Revebebe

    ... Mais alors, tout était organisé ? Dorothée montre la carte où elle et moi avons dessiné les coordonnées de Juan de Lisboa, Charles hoche la tête et dit quelque chose comme : « Pas de souci, si on part demain matin, on y sera au coucher du soleil ». Je reprends des petits verres de rhum, car la vie va si rapidement, je suis si près du but, je désire Dorothée et je la vois virevolter dans sa robe colorée, ses cheveux se mariant à ses épaules et son corps, Charles me cause un langage que je ne comprends pas très bien, Dorothée me fait la traduction, je suis devant une assiette de riz, avec des sortes d’épinards relevés au curcuma et au gingembre – les brèdes dont ils parlaient plus tôt dans la soirée – et le rougail saucisse, un ragoût bien épicé et franchement savoureux ! Allez, un autre petit verre !
    
    La case tangue et grince comme un navire en pleine tempête, Dorothée me guide vers la chambre d’ami, je me fais violence pour ne pas l’inviter à rester avec moi et, la tête sur l’oreiller, je souris de savoir Juan de Lisboa non loin de moi et Dorothée qui gémit dans la chambre d’à côté, comme si elle me visitait en rêve et mettait en acte mes plus profonds désirs…
    
    Dorothée a déclenché en moi trois bourrasques. Celle de l’aventure en premier lieu. Ensuite celle qui m’attire invariablement vers elle-même, Dorothée. Puis celle qui pousse le catamaran. Nous sentons bien le vent souffler, mais il nous semble rester sur place. Le bateau avance-t-il, ou est-ce le monde qui recule ...
    ... ? Il n’y a que deux bleus, celui du ciel et celui de la mer, il n’y a que le bateau, le vent, le soleil, elle et moi. Et tous ces reflets d’or qui parcourent les vagues, qui s’éteignent et se rallument, qui éclatent et qui brillent.
    
    Le catamaran de Charles avance rapidement malgré tout. Charles est silencieux à la barre. Dorothée est étendue au soleil, un genou relevé qui fait chuter son paréo, laissant paraître sa cuisse et sa hanche brune. Son bikini est ajusté, son ventre plat offert aux caresses des embruns ; une brune enchanteresse qui a dans le cou des airs noblement maniérés – comme a déjà dit notre ami Baudelaire à une belle malbaraise. Dorothée est grande et svelte au sourire tranquille et aux yeux assurés.
    
    Et moi, je suis admiratif des flots, de ce limpide azur, subjugué par l’ordre immémorial des doux murmures des vagues. Je laisse le temps filer comme le navire apprêté exprès pour cette dernière expédition, à la découverte des illusions du réel.
    
    Ni Charles, ni Dorothée, ni moi ne parlons de tout le jour. Et quand arrive enfin le crépuscule à la ligne d’horizon, je bondis sur mes pieds et pointe un point. J’ai envie de crier : « Terre ! », mais suis muet, la bouche béante, le souffle coupé, le corps figé.
    
    Dans l’eau, tout autour du bateau, des milliers de pierres ponces qui flottent. Dorothée en prend une dans sa main, me regarde, dit mon nom en chuchotant et moi, pétrifié par la découverte, je ne l’entends pas.
    
    C’est bel et bien la terre que l’on ...
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