Dorothée ou les dérives de l'aventure - Histoires de Sexe

Dorothée ou les dérives de l'aventure

... écart de 47 lieues. Il rectifie donc la longitude de 2 degrés et…

Nous avons l’emplacement exact de l’île Juan de Lisboa…

Dans la vieille case créole où grillent des saucisses, Dorothée et moi sommes surexcités : nous reprenons les calculs de Van Kellen, nous comparons avec les données des Hollandais, nous traçons des lignes sur la carte de l’océan Indien et griffonnons un X à l’emplacement même de la rectification du Capitaine Donjon : tout concorde !

Dorothée se redresse et j’admire sa silhouette en clair-obscur de la lampe-pétrole. Depuis que je la connais, j’ai avancé de mille lieux dans ma quête, voulez-vous m’épouser ?

— Maintenant, il ne reste qu’une seule chose à faire, dit-elle mystérieusement.
— Faire l’amour ?

Dorothée éclate de rire, le menton au plafond, la bouche ouverte, ses dents blanches, sa gorge que j’aimerais embrasser, mais que viens-je de dire ? C’est sorti tout seul, je n’aurais jamais dû, j’ai honte, moi un vieux Zoreil au crâne chauve et un peu bedonnant, je viens de faire une proposition indécente à cette belle cafrine avec raison : au fond, que reste-t-il d’autre à faire ? Dorothée revient de son hilarité toujours avec un œil rieur :

— Mais non, la seule chose qui reste à faire, c’est de vérifier de visu l’emplacement de Juan de Lisboa !
— Partir en bateau ?
— Bien sûr !
— Mais je ne suis pas un aventurier… déjà que…

Dorothée prend une résolution et me met devant le fait accompli :

— Mais avant cela : il faut manger ...

... !

Elle retourne en cuisine et je hume de nouvelles odeurs, des oignons qui grillent avec les saucisses. Charles racle le fond du pilon et insère la pâte d’épice, il touille et il touille. Dorothée met sa main sur son épaule, est-ce un geste de camaraderie ou d’amant ? Je les rejoins et Charles me sourit :

— Ou aim pimen ?

J’acquiesce sans trop savoir et m’assieds sous la varangue. Dorothée verse les tomates dans la marmite, le rougail prend forme, ça sent délicieusement bon et en même temps, je me dis que la fin de l’histoire arrive rapidement : nous avons les coordonnées exactes de mon but !

Tandis que Dorothée met le couvercle sur la marmite pour laisser mijoter, Charles sort de petits verres et une bouteille où flottent des feuilles et ce qui semble être des fruits :

— In ti cou de rhum arranzé ?
— Oui, parce que nous avons quelque chose à fêter ! lance-t-elle en versant le rhum arrangé dans les verres puis en les distribuant. Charles, nous aurons besoin de ton bateau, le plus tôt possible !

Charles s’enfile son verre en souriant :

— Dorothée, tu m’en avais parlé : tout est déjà paré !
— Tchin !
— Gro poisson i bèk sul tar ! me dit-elle toute heureuse.

Devant mon incompréhension, elle me traduit en rigolant :

— Une bonne affaire se fait parfois attendre ! Vous êtes tout près de parvenir à votre objectif !
— Tchin !

L’alcool me chauffe le corps, mais le goût de letchis cache la puissance des quarante-cinq degrés. Charles a un bateau, c’est vrai. ...