1. Fifty-Fifty


    Datte: 27/01/2024, Catégories: fh, ff, ffh, hplusag, Collègues / Travail fête, amour, portrait, Auteur: Amarcord, Source: Revebebe

    ... jour-là, Antoine Caubert aperçut sur sa pile de courrier une grande enveloppe brune, non affranchie. Le papier kraft avait vécu, les coins étaient cornés, et une large part de la surface avait été décolorée par le soleil. Il se dit que ce pli défraîchi émanait soit d’un radin, soit d’un écolo intégriste et obsédé du recyclage, venu le déposer lui-même à vélo pour ne pas aggraver son empreinte carbone.
    
    L’enveloppe contenait une simple lettre manuscrite, tracée à l’ancienne, au stylo, non sans élégance, d’ailleurs.
    
    Nul ne vit plus jamais Jérôme Merlaint œuvrer auTemps dans son bureau du premier étage, concentré sur son clavier, occupé jusqu’à bien tard à polir les textes de l’édition du jour. Nul de ses collègues ne le vit davantage ailleurs. Seule Juliette Rouvre affichait un petit sourire narquois lorsqu’on évoquait l’énigme. Mais on le mettait sur le compte de son tempérament effronté.
    
    Certains individus n’appartenant pas à l’effectif du journal prétendaient avoir surpris l’image furtive de sa silhouette déambulant sur les quais de Seine, au bras d’une longue jeune femme brune riant aux éclats. D’autres juraient l’avoir aperçu dans unvaporetto sur le Grand Canal, une beauté blonde pendue à son cou. Comme pour tenter l’exploit de réconcilier ces rumeurs contradictoires, une troisième version encore plus improbable le signala sur le port de Patmos, entouré de ces deux déesses amoureuses aux chevelures et carnations contrastées.
    
    Il en va ainsi des disparitions ...
    ... mystérieuses : elles suscitent les fantasmes, elles génèrent leur lot de témoignages fantaisistes, elles alimentent la légende. Aux jeunes générations de journalistes qui entrent dans la carrière, les cadres duTemps font aujourd’hui visiter l’étage supérieur, libéré depuis peu de la présence de Caubert. On en a profité pour y installer une sorte de petit musée pour édifier les impétrants, leur faire comprendre qu’on entre dans ce journal comme on entre en religion, inspiré par l’esprit des grands anciens.
    
    Au mur, sous le portrait du Commandeur, on a rajouté celui de Jérôme, le correcteur tellement rigoureux qu’il ne commit qu’une seule faute, et dont on prétend désormais, à tort ou à raison, qu’elle lui parut si insupportable qu’il décida, en saint martyr de la presse, qu’elle serait aussi la dernière.
    
    Est-ce crédible ? Est-ce un mensonge ?
    
    Vous connaissez la réponse : c’est dufifty-fifty.
    
    *Note de l’auteur : les correcteurs et correctrices bénévoles de Rêvebébé vous le confirmeront : on passe ici de la fiction à la science-fiction.
    
    Post-scriptum : ce texte est né il y a quelques semaines d’une vieille envie jamais satisfaite : celle de rendre un hommage aux courageux correcteurs de ce site. Voilà qui est fait, et bien entendu via le prisme de la fiction. Comme le veut la formule consacrée, toute ressemblance avec des personnes ou des faits existants ou ayant existé ne serait le fruit que d’une bien jolie coïncidence.
    
    Et puisqu’on parle de coïncidence, en voici ...