1. Fifty-Fifty


    Datte: 27/01/2024, Catégories: fh, ff, ffh, hplusag, Collègues / Travail fête, amour, portrait, Auteur: Amarcord, Source: Revebebe

    ... fois où il avait été véritablement convoqué, un an à peine après son arrivée auTemps.
    
    On ne s’asseyait pas en présence du Commandeur, qui d’ailleurs préférait lui-même la station debout, comme si elle vous disciplinait pour éviter que la conversation ne s’embourbe dans des détails inutiles.
    
    — Entrez, Merlaint, je vous en prie, avait dit le Commandeur.
    — Vous souhaitiez me voir ?
    — En effet. Dites-moi : qu’est-ce qui fait selon vous un grand journal ?
    — La question me semble un peu rhétorique. Quelque chose me dit que vous souhaitez y répondre en personne, Monsieur le Directeur.
    
    Le Commandeur avait souri.
    
    — Décidément, vous êtes fin, mon jeune ami. J’ai cherché une réponse toute ma vie, je ne serai jamais satisfait. Mais voici la mienne. Il y a d’abord la rigueur des faits, que l’on se doit d’établir de façon impitoyable, presque scientifique, sans les contaminer par la moindre trace d’affect. Et puis vient la pertinence des mots dont on use pour faire de ce matériau inaltérable une bonne histoire, sans jamais verser dans la fiction, la sensation, l’émotion gratuite. Il faut trouver le ton juste, maîtriser la langue. Chez nous, elle ne peut jamais viser la littérature, elle se doit d’être tout en équilibre. Il faut être efficace sans être dénué d’élégance. Concis sans être pauvre, éloquent sans chercher misérablement l’effet. Le style ne peut être chez nous un but, c’est un outil, une question de morale : c’est lui qui place les faits dans une perspective, et ...
    ... la nôtre se doit d’être sobre et digne. Vous me comprenez ?
    
    Jérôme avait acquiescé en silence.
    
    — Bien sûr que vous me comprenez. Je vous lis chaque jour, figurez-vous. Il y a dans cette maison d’excellents reporters, qui traquent les faits avec un acharnement admirable, mais bien moins armés au moment de les décrire. Et des éditorialistes pleins d’esprit, de brillants bretteurs, trop brillants à vrai dire : chacun de leurs papiers est un autoportrait amoureux, un monument ampoulé à leur propre verve. Mais aucune de ces grandes signatures ne dispose de votre talent unique, celui qui fait tenir vos textes sur le miraculeux point d’équilibre que j’évoquais à l’instant.
    — Monsieur le directeur, vous me faites trop d’honneur…
    — C’est vous qui abusez de la modestie. Une pudeur qui vous honore, mais qui ne m’arrange pas. J’ai besoin de vous, et vous ne me serez utile qu’en cessant de vous excuser de votre talent. Assumez votre don sans arrogance mais sans timidité, faites-en une arme pour asseoir votre autorité toute particulière.
    — J’avoue ne pas comprendre…
    — Vous nous avez rejoints voici un an, jour pour jour. Et je m’en félicite. Je pourrais vous prédire un bel avenir dans cette maison, en vous réclamant un peu de patience. Mais cette patience, je ne l’aurai pas moi-même. Je souhaite vous confier dès à présent un rôle capital dans cette maison.
    — Je ne sais que dire…
    — Ne vous réjouissez pas trop vite. Le rôle que je vous destine est aussi ingrat qu’essentiel. Vous ne ...
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