1. Aïcha, ou les exils


    Datte: 30/06/2019, Catégories: fh, ff, hotel, anniversai, amour, confession, historique, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... qu’enfin nos râles essoufflés ne s’accordent à l’unisson. Toute la nuit en retentit, condamnant au silence le bal des crapauds convaincus qu’ils ne pouvaient rivaliser avec tel duo.
    
    J’ai, ultérieurement, vécu des expériences plus physiques, plus virulentes, plus extravagantes, plus tout ce qu’on voudra, aucune n’éclipsa celle-ci et jamais je n’ai tressé aussi puissamment ces harmonies profondes entre vigueur et douceur, entre le cœur, l’esprit et la chair.
    
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    Je retrouvais ensuite Kadour très régulièrement et partageais avec lui des étreintes hallucinées, soit sur cette même terrasse, soit dans ma chambre située au rez-de-chaussée, à laquelle il accédait facilement par la fenêtre. Il m’aimait éperdument, j’étais folle de lui et sur le point d’annoncer cette liaison à mes parents ainsi que de leur déclarer notre intention de nous marier, lorsque vers la fin du mois d’octobre, son père lui demanda de le rejoindre à Alger. Cette absence ne devait durer que quelques jours et Kadour en profiterait pour avertir sa famille de nos desseins. Une première semaine s’écoula sans que je n’obtienne la moindre nouvelle. Les huit jours suivants nourrirent mes plus vives anxiétés. D’ici, Alger apparaissait comme la pétaudière recelant tous les dangers, tous les fanatismes et chaque jour égrenait un long chapelet d’attentats aux victimes innocentes.
    
    Voilà un mois qu’il était parti et, dévorée d’inquiétudes, je me risquai à interroger notre régisseur. Monsieur Ferrad ...
    ... m’affirma n’avoir aucun renseignement précis au sujet de son frère et de son neveu, mais fit état d’une rumeur selon laquelle ils s’étaient peut-être embarqués via la France. Comment était-il possible que mon aimé m’ait ainsi abandonnée et se soit enfui en omettant de me prévenir ? Je me décomposai puis éclatai en sanglots, dévoilant, à mon grand dam, l’intensité du sentiment qui me liait à Kadour. Il essaya de me rassurer et me promit de me transmettre toute information qui lui parviendrait. Chancelante, je regagnai ma chambre et, dans le secret de cet isoloir, j’épanchai toutes les larmes de mon corps avant de griffonner une lettre mi-rageuse, mi-tendre où je le sommais de s’expliquer. Monsieur Ferrad accepta de l’expédier à l’adresse présumée de son frère. Elle resta privée de réponse.
    
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    Les évènements au-delà se précipitèrent et mon père nous envoya tous, mes grands-parents, ma mère et moi-même en métropole, à Montpellier où vivait ma famille maternelle. J’étais toujours sans nouvelles de Kadour et j’hésitais à quitter des lieux où il ne manquerait pas de me contacter s’il le pouvait. Par ailleurs, s’il était en France, il valait mieux me rapprocher de lui en franchissant la Méditerranée.
    
    Nous embarquâmes par un matin froid, clair et lumineux de décembre. Moi qui avais souvent rêvé de croisière, je ne fus pas déçue lorsque je me retrouvai à bord escortée par toute la misère du monde. Les cris se mêlaient aux pleurs et étaient dominés par l’aigre rire des mouettes ...
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