Aïcha, ou les exils
Datte: 30/06/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
Auteur: Asymptote, Source: Revebebe
... qui semblaient ricaner de nos infortunes. Ils retentirent toute la durée du voyage et pourtant nous ne faisions nous pas partie des derniers charrois d’exilés qui comptèrent parfois plusieurs suicides durant les traversées.
Je demeurais, seule, au milieu d’une foule affligée, sur le pont supérieur de l’El-Djezaïr. Le soleil arasait la côte algérienne, bande ocre aux couleurs du domaine que trouait, au loin déjà, l’éblouissement des étagements de la casbah blanche. Contrairement à beaucoup sur le navire, je refusais de m’illusionner en pensant les revoir bientôt et savais que cette image composerait durablement mon ultime souvenir d’Afrique. La lueur clignota ainsi qu’un phare puis s’éteignit. Plus rien que la monotonie des vagues à peine ourlées d’écume, le vide et le froid qui s’intensifiaient attisés par des vents glaçants. Je me figeais là et fixais désespérément ce point qui s’était effacé à l’horizon. À ce moment, je croyais encore ne déplorer que la perte de mon aimé !
Débarquant à Marseille le lendemain, je constatai d’abord que le soleil s’était rétréci, l’immense boule calorique s’était réduite à une chétive tache orangée. Une infernale cohue nous charria et tout de suite je compris que nous n’étions pas bienvenus. Ce nom de « pieds-noirs » que j’avais volontiers adopté et qui signifiait qu’en dépit de mes origines françaises j’avais les pieds enracinés en Afrique(2), était ici au moins péjoratif quand il ne se voulait pas insultant. Je sus très vite que si, ...
... là-bas, je n’avais pas été Algérienne ou Kabyle, en ce pays non plus, je ne serais pas Française à part entière.
J’aurais bien entamé la quête de mon aimé immédiatement, toutefois il me fallait procéder discrètement, mes parents ne sachant rien de mon attachement à Kadour. Je tentais de m’enquérir auprès des compagnies maritimes des listes de passagers débarqués, mais je manquais de renseignements pour préciser ma recherche et elles m’opposèrent en outre des clauses de confidentialité du fait que je ne pouvais établir aucun lien de parenté.
o-o-O-o-o
Une quinzaine plus tard, nous nous installions à Montpellier d’où j’essayais immédiatement de contacter monsieur Ferrad. Il restait toujours dans l’ignorance complète du sort de son frère. Je multipliais les courriers et bientôt la bousculade des évènements, la chasse aux harkis et autres individus compromis par trop d’attachements aux colons, tarirent à son tour ce dernier lien. J’écrivis encore trois lettres successives à Kadour que j’expédiais à l’adresse de son père à Alger. Aucune réponse ne me parvint.
Nous approchions de la fin juin. Là-bas le referendum se déroulerait en date du premier juillet et dans la foulée la proclamation de l’indépendance, dont personne ne doutait plus, se ferait le cinq. Viendrait le quatorze, triple anniversaire de la révolution, de ma naissance et de ma défloration. Il y avait déjà un an que je m’étais donnée corps et âme à celui dont je souhaitais faire l’homme de ma vie qui s’était ...