1. Aïcha, ou les exils


    Datte: 30/06/2019, Catégories: fh, ff, hotel, anniversai, amour, confession, historique, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... judicieux qu’entrecoupaient de grands silences que je me gardais d’interrompre tant ils étaient diserts.
    
    Malgré mon âge avancé, je n’avais vécu que quelques bluettes sans conséquence avec de jeunes Français de l’école privée où je poursuivais une formation supérieure en comptabilité. Jamais plus que parmi ces Milou, je ne sortais les crocs et les griffes d’Aïcha, le guépard ! Je m’estimais parfois bien trop sage et l’envie me tenaillait alors de m’encanailler un peu. Ma virginité me préoccupait, mais autant par mes peurs de la perdre que dans celles de la conserver. Nombreuses étaient mes amies qui, hors fanfaronnade, admettaient la déception ressentie lors du premier rapport.
    
    o-o-O-o-o
    
    Vint enfin ce jour de mes vingt ans. Un grand jour pour moi, pensez donc, il accolait la fête nationale à mon anniversaire et pas n’importe lequel, celui qui, inaugural de ma troisième décennie, allait me poser en dame. J’avais d’abord songé à le célébrer à Constantine cependant les contraintes du couvre-feu, la tristesse de cette ville désormais presque morte m’en avaient dissuadée. Le repas de midi avait rassemblé de rares voisins et la famille, oncles, tantes et cousins qui étaient restés dans la région. Il fut bien morne, accablé par l’évocation des menaces actuelles. On s’y emporta contre De Gaulle et railla tous ceux qui, fuyant le Constantinois, s’étaient réfugiés à Alger, maintenant au cœur de la tourmente et terriblement plus exposée que ne l’était notre ...
    ... province.
    
    J’avais obtenu que l’après-midi et la soirée m’appartiennent totalement et que les parents s’en tiennent à l’écart. J’y avais convié bien sûr mes deux cousins, une cousine, deux copines du lycée dont l’une Berbère escortée par son grand frère et Aïcha. Celle-ci avait été difficile à convaincre, car il devenait dangereux pour les autochtones de frayer avec des Français. Ce qui avait arraché son assentiment c’était qu’elle pourrait se vêtir à l’européenne et proscrire le foulard. Par un étrange retournement de situation tandis que je rêvais de costumes kabyles, elle ne songeait qu’à s’habiller selon nos modes, à l’occidentale. Enfin, en dernière minute, m’étant aperçue que Kadour était au domaine, je l’avais invité à se joindre à nous.
    
    Nous n’étions que neuf, péniblement rassemblés et les larmes aux yeux, je m’évoquais mes anniversaires d’antan qui nous regroupaient à plus de quarante, il est vrai, adultes compris. Mon père n’avait pas lésiné sur le champagne et nous aurions terminé ivres morts en vidant toutes les bouteilles. Malgré cette prodigalité, la récréation fut tristounette et la soirée s’annonça morose. Chacun ruminait ses sombres pensées et j’avais beau me démener dans l’espoir de créer une ambiance, celle-ci ne persistait pas longtemps. En outre, afin de ne pas ameuter les environs, on m’avait recommandé de ne pas pousser le volume de la musique ce qui nous engagea à pratiquer ces danses lentes et chaloupées dont je ne sais plus si on les appelait déjà ...
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