Aïcha, ou les exils
Datte: 30/06/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
Auteur: Asymptote, Source: Revebebe
... restaient pas moins Arabes fainéants dans l’esprit de ceux qui se cantonnaient à ordonner. Parmi ces autochtones, seul monsieur Ferrad, notre régisseur, avait droit à des égards, ce qui du coup le propulsait à des hauteurs qui ne lui permettaient plus de s’adresser à ses congénères qu’en les invectivant. Fort efficace dans son rôle, il n’était certes pas méchant homme, mais voilà, audomaine on trouvait ceux qui éructaient et ceux qu’une longue tradition avait accoutumés à plier l’échine sous les vitupérations. Sans doute que pour remédier au problème de la langue, les premiers s’imaginaient se faire mieux comprendre en forçant le ton.
Monsieur Ferrad employait régulièrement Kadour, son neveu, à des tâches de maintenance des bâtiments dès que celles-ci se révélaient d’une certaine complexité et outrepassaient les travaux de force du gros-œuvre. Le jeune homme, un peu plus âgé que moi, était, en un sens aussi, plus Français que moi-même, car né à Marseille où son père travaillait alors, juste avant la Seconde Guerre mondiale. Il pratiquait parfaitement l’art du stucage, mais se montrait pareillement expert dans les travaux de peinture, d’électricité ou de plomberie.
C’était un garçon ravissant, fin et élancé, aux cheveux drus presque noirs et au teint moins hâlé que ses compatriotes. N’eût été la moustache, il aurait été difficile de le distinguer d’un Européen. J’étais fascinée par ses grandes mains très allongées, de robustes mains propres au labeur et je me souviens ...
... m’être autorisée à penser que des caresses dispensées par elles se devaient d’être divines. J’y voyais un enfant du pays, du Sud et des sables. Quelque chose d’authentique, de rassurant et de puissant émanait de toute sa personne, une force dépourvue de rudesse tant que d’esbroufe. Il était plutôt silencieux, savait s’affirmer sans rodomontade, mais ses yeux débordaient d’éloquence.
Nous discutions souvent ensemble et il m’appelait « Mademoiselle Aïcha » avec une déférence emphatique qui, selon les jours, m’exaspérait ou me faisait rougir de plaisir. Je lui répliquais en lui servant du « Monsieur Kadour » qui le laissait interdit. Un jour, alors que je somnolais sous la treille, je sentis une présence. Derrière mes cils à peine entrouverts, je le distinguais me contemplant dévotement. Au bout d’un moment, je m’étirais faisant semblant de m’éveiller et il se retira prestement. Je me redressais sur mon transat, constatant que ma jupe avait grimpé au long de mes cuisses et que mon chemisier, ouvert, bâillait indécemment sur ma poitrine. Sa vénération ainsi n’avait été que concupiscence, j’en fus déçue avant d’en tirer une légitime fierté. Dès lors, je ne manquais plus une opportunité de le côtoyer pour déchiffrer dans son regard cette lueur de discrète admiration. Au-delà, je le découvris cultivé, parlant remarquablement notre langue, s’intéressant à tout et plein d’une exquise sensibilité. Je lui prêtais régulièrement des livres qu’il me rendait accompagnés de commentaires ...