1. Aïcha, ou les exils


    Datte: 30/06/2019, Catégories: fh, ff, hotel, anniversai, amour, confession, historique, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... Lorsqu’après mon service et un harassant labeur je récupérais ma marmaille, elle m’offrait fréquemment un thé particulièrement bienvenu. Souvent je me changeais rapidement chez moi enfilant une gandoura constantinoise qui elle, ne puait pas l’hôpital, avant de la rejoindre. Dans l’ambiance feutrée de son salon qui se transformait en chambre la nuit, nous restions à demi étendues sur des matelas posés à même le sol, baignant dans des odeurs de myrrhe, grignotant du bout des lèvres quelques dattes confites que j’avais apportées. Nous nous alanguissions alors racontant chacune son Afrique. C’en était généralement les bons souvenirs, mais parfois la guerre et ses horreurs s’invitaient dans mes propos, la sombre misère de son île dans les siens. Cette escale journalière dans le passé devint incontournable.
    
    Un soir, en arrivant, je la trouvai en pleurs. À peine installées devant notre thé, elle me raconta que son mari lui avait déclaré qu’il ne voudrait plus jamais rentrer au pays. Je lui rappelais ses fréquents enthousiasmes, qu’elle était plutôt satisfaite de son sort et ne perdait pas une occasion d’expliquer comment et pourquoi elle se sentait si bien ici. Mes arguties ne provoquèrent qu’un redoublement de larmes et elle me répondit :
    
    — Mais qui s’occupera de nos dépouilles et pratiquera lefamadihana ?(4)
    — Le quoi ?
    — Lefamadihana, le retournement des morts. Tous les sept ans chez nous, on exhume les os de nos défunts pour leur fournir un nouveau linceul et ce ...
    ... n’est qu’après cette cérémonie qu’ils peuvent rejoindre définitivement le monde des ancêtres.
    
    Plus elle parlait, plus elle sanglotait. Au bout d’un moment, elle vint se blottir contre moi. Elle hoquetait en répétant « Qui donc se préoccupera de nos dépouilles ? » Elle noua alors ses bras autour de mon cou en renforçant ses gémissements. Elle était brûlante, fleurait bon la vanille et je sentais sa lourde poitrine tressauter contre la mienne.
    
    Je pris sa tête entre mes mains et elle me supplia de ses yeux de biche aux abois. Je couvris ses joues et son front de baisers que je souhaitais apaisants. Elle se rasséréna progressivement, mais ses hoquets se poursuivirent. Elle me serra à son tour, convulsivement, si fort que son torse s’incrusta littéralement dans le mien. Un vague sourire s’esquissa sur ses lèvres qu’elle me tendit et j’appliquai ma bouche sur la mienne. Ce geste fut si spontané, si naturel que je ne me rendis pas compte d’abord que je l’embrassais, que j’embrassais une femme surtout.
    
    Il n’y eut aucune frénésie, aucun autre débordement et, dans une cécité absolue au reste de l’univers, nous mêlâmes nos saveurs. Elle emprisonna mes jambes qu’elle serra spasmodiquement entre les siennes et il me sembla qu’elle jouit silencieusement. Combien de temps s’éternisa cette communion ? L’éternité défie les horloges et peut durer une fraction de seconde, un lustre ou un millénaire en ces instants où le temps s’abolit.
    
    Soudain les gosses entrèrent en hurlant, nous ...
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