1. Aïcha, ou les exils


    Datte: 30/06/2019, Catégories: fh, ff, hotel, anniversai, amour, confession, historique, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... ensuite volatilisé. Je songeais alors à ces maelströms qui font fi des existences individuelles, les brassent en un immense chaos engendrant peut-être l’Histoire, mais sur des montagnes de désespoir et des torrents de sang. Rien ne me rongeait plus que l’impuissance à laquelle j’étais réduite. Nulle piste ne s’ouvrait à moi et j’entrepris une nouvelle fois de lui écrire tout en concevant l’inanité d’un geste qui, à l’encontre d’une inaction totale, me disculpait pourtant de ma passivité.
    
    J’ai conservé ce courrier.
    
    J’avais terminé la rédaction de cette lettre, mais, hélas, rien ne pressait et je voulais qu’elle soit estampillée du treize ou du quatorze juillet commémorant ainsi l’anniversaire vénérable. Depuis trois jours, je la promenais décachetée dans mon sac n’excluant pas d’y ajouter éventuellement l’un ou l’autre paragraphe.
    
    Il faisait très chaud ce mercredi douze juillet, une de ces chaleurs asséchantes alimentées par un sirocco portant les effluves du pays, lourdes de poussière et de sable. Je déambulais dans le centre de la ville quand, débouchant sur la Comédie, je décidai de boire une menthe à l’eau bien glacée à la terrasse de l’un des cafés qui bordent l’Esplanade(3). Je m’y installai et parcourus le public attablé d’un œil morne. Tout avait l’air irréel et je me pris à détester ce semblant d’ordre qui alignait tables, chaises et parasols, cette foule compassée qui murmurait au lieu de s’égosiller, cette monochromie ambiante soutenue jusque par la ...
    ... grisaille des costumes, dont je me distinguais avec ma robe fleurie multicolore.
    
    Un moment je m’absorbais dans la contemplation de la veste blanche d’un serveur à la terrasse voisine et la fixais comme le taureau sa muleta. L’homme que je ne voyais que de dos avait la stature et les allures de Kadour, ce qui me renvoya à mes plus tristes pensées. Il pénétra dans le café sans se retourner et, une fois de plus, je me sentis très seule au milieu de l’affluence grouillante de l’Esplanade.
    
    Il revint et je le vis de trois quarts, penché au-dessus de la table de clients. J’en fus presque certaine : c’était bien lui. Je ne sus me contraindre et mon cri fusa :
    
    — Kadour !
    
    Il releva la tête et mon dernier doute se dissipa. Il me toisa et hurla sur le même ton :
    
    — Aïcha !
    
    Abandonnant ses clients, il se précipita vers moi et nous nous étreignîmes follement par-dessus la barrière qui séparait les deux cafés. Nous restâmes muets, mélangeant nos larmes et nos langues, devant une assistance goguenarde. Enfin, nous nous détachâmes… Qui posa le premier la question ? Je n’en sais rien, vraisemblablement s’imposa-t-elle et jaillit-elle simultanément :
    
    — Que fais-tu donc ici ?
    
    Après avoir esquissé mille interrogations auxquelles nous ne nous donnâmes pas la peine de répondre, il se dégagea en disant :
    
    — Il me faut reprendre mon service, mais je le termine dans une heure. Je ne puis me permettre de fantaisies, il est trop difficile de dénicher un boulot dans cette ville. Peux-tu ...
«12...101112...36»