Aïcha, ou les exils
Datte: 30/06/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
Auteur: Asymptote, Source: Revebebe
... m’attendre jusque-là ?
— Tu penses vraiment que maintenant que je t’ai récupéré, je vais te lâcher ? Fais-moi languir une semaine, quinze jours, je ne me lèverai pas de cette chaise tant que tu ne viendras pas m’en arracher.
Je repris ma place et ne le quittai plus des yeux. Voilà huit mois que nous nous étions séparés et ils furent moins longs que cette heure, que l’énervement égrena en en multipliant la durée des minutes. Il avait passablement maigri et ses traits s’étaient durcis. Curieusement, je lui trouvais une physionomie plus berbère que là-bas.
Au bout de cette éternité d’impatience, entamée un an plus tôt et prolongée par cette heure interminable, il me rejoignit et après des embrassades réfrénées – lieu public obligeait – nous connûmes… notre première dispute. Ce fut essentiellement chamaille d’amants malheureux réactivant chacun les incertitudes, les calamités et les angoisses qu’il avait traversées. Nous nous jetions à la tête les mêmes injonctions, nous y apportions pour l’ensemble les mêmes réponses. « Pourquoi ne m’as-tu pas prévenu ? » ; « N’as-tu pas écrit ? » ; « Mais je t’ai écrit ! Nos lettres se sont perdues, nous n’étions plus là ! » ; « Pourquoi ne m’as-tu pas recherché ? » ; « J’ai fait ce que j’ai pu malgré la mauvaise volonté des compagnies maritimes qui n’ont pas daigné me renseigner. » Entre chaque question, calmés, nous échangions furtivement un baiser qui en suscitait de nouvelles et nous nous relancions, des larmes au coin de l’œil, ...
... dans des algarades revigorées. À l’issue de cette joute, alors que dans les bras de l’autre, nous nous épanchions plus sereinement, il me fixa soudain sévère et me fusilla d’un « Pourquoi nous avez-vous abandonnés ? Pis, vous nous avez condamnés en déléguant à vos ennemis le soin de nous exécuter, nous, vos amis. Sais-tu qu’en janvier, mon oncle, votre régisseur s’est fait égorger ? » Que pouvais-je répliquer ? Désespérée, je fondis en sanglots.
À cette époque nous tentions d’ignorer les purges massives et sanguinaires que les vainqueurs infligeaient aux autochtones et n’avions encore qu’une rumeur concernant les terribles massacres d’Oran perpétrés sous les yeux d’une armée française, l’arme au pied, qui fit plus de victimes dans les rangs de nos anciens soutiens que dans ceux des Européens.
Nous ne pouvions continuer à nous donner ainsi en spectacle. Je lui proposais avec une pointe de honte dans la voix de joindre un hôtel. Ce fut moi qui, rougissante, réservai la chambre et remplis les fiches de police devant un employé suspicieux qui mitrailla mon amoureux de coups d’œil venimeux. Il ne sut s’empêcher d’interroger :
— Aïcha ! Vous n’êtes pas Arabe au moins ?
Sans la hâte qui me pressait de me donner à mon amant, je l’aurais volontiers giflé. Humiliée, d’autant plus que Kadour était dans mon dos, j’expliquai rageusement que non. À défaut d’être français, Muller n’était pas un nom arabe et que monsieur Ferrad, ainsi qu’en attestaient ses papiers, était né à ...