1902 - Eugénie à Paris (1)
Datte: 14/04/2019,
Catégories:
Lesbienne
Auteur: Orchidée, Source: Xstory
... l’étendue du talent de la demoiselle.
— Bien entendu, suivez-moi. Comment vous appelez-vous ?
Le propriétaire des lieux anxieux ramena le silence d’un ample geste de la main.
— Je vous demande d’acclamer Eugénie de Rouen !
Le regard dédaigneux de Théodore Botrel en dit long sur sa déception d’être évincé. Jules Rimaux avait sans doute cédé au caprice d’un client fortuné. Avec de la chance, le public réclamerait son retour après que la jeunette se soit tournée en ridicule.
— Vous connaissez Va pensiero de Verdi ? susurra la jeune fille à l’oreille du pianiste sous le regard attentif des trois violons.
L’un d’eux lança deux notes, puis deux autres un ton au-dessus suivant les conseils jusqu’au fa dièse majeur. Satisfaite, Eugénie ferma les yeux un instant, habitude prise au domaine quand le professeur de chant lui demandait de s’isoler mentalement avant une prestation. Les musiciens obéirent au signal donné d’un geste quasi imperceptible pour les non-initiés.
L’assistance laissa sourdre une rumeur consternée accompagnée de quelques sourires hâbleurs pendant la courte introduction orchestrale. Seule une interprète confirmée d’un certain âge pouvait célébrer sans l’altérer la complainte du compositeur Giuseppe Verdi, dont le décès à Milan l’année précédente consternait encore les nombreux mélomanes amateurs d’opéra.
Une légère vague d’applaudissements salua les premières notes, dévolues à un chœur dans l’œuvre originale, égrainées par une voix de ...
... belle facture ; la provinciale affublée en femme du monde se montrait à son avantage dans un registre difficile. Natalie tenta de ne laisser paraître aucune émotion, comme si les dispositions vocales de sa protégée lui étaient connues depuis longtemps.
Soudain, alors que le public s’attendait à une prestation simplement correcte de la part d’une novice possédant quelques capacités lyriques, Eugénie fit jaillir de sa poitrine la puissance d’un talent insoupçonnable chez une frêle jeune fille. Le timbre cristallin de la soprano couvrit sans peine piano et violons de son vibrato aigu. L’attention se fit quasi-religieuse dans la salle.
Sous le charme depuis leur rencontre une semaine plus tôt, Natalie Clifford Barney tomba éperdument amoureuse. Peu importait si le sentiment extrême devait la porter des années, six mois ou deux semaines, elle remplirait ce vide d’une passion jamais égalée, sans cesse renouvelée. L’Amazone, nommée ainsi par le philosophe Raymond Duncan, ne savait aimer autrement.
Le tranquillité du petit salon dans la suite de Natalie réconforta Eugénie après la folle exubérance de la Brasserie des Ambassadeurs où on l’avait suppliée de rester sur scène jusque tard dans la nuit. Bien davantage que du cadre somptueux de dorures, de bois précieux, de marbre et d’œuvres dignes d’une exposition à la galerie du Louvre dont l’établissement tirait son nom, elle s’émerveilla de l’éclairage électrique peu répandu au tout début du 20ème siècle.
— Oh ! c’est un ...