1. Hôtel des femmes


    Datte: 24/03/2019, Catégories: f, ff, fff, religion, bizarre, hotel, douche, dispute, miroir, pied, jouet, fantastiqu, fantastiq, Auteur: Calpurnia, Source: Revebebe

    ... pas dans le narthex, une violente odeur d’encens me prend à la gorge. Des vitraux minuscules ne peuvent empêcher l’intérieur de l’édifice d’être plongé dans une nuit quasi permanente, avec pour seul éclairage des bougies fixées en cercles sur des lustres aux ornements compliqués, reliés au plafond par de longues chaînes. Le silence qui règne là est si pur qu’il m’oppresse en rendant audibles mes battements cardiaques, lorsque je suis immobile. Et pourtant, il faut bien qu’un sacristain soit présent pour allumer ces chandelles. Au centre, devant le chœur, un vieil encensoir doré, suspendu à une poutre, oscille lentement en répandant autour de lui, dans un brouillard de volutes blanches, le parfum qui m’enivre.
    
    Une petite affiche donne des informations sur cette église du XVIIIe siècle dont l’extérieur me paraissait modeste, en dépit de ses dimensions étonnantes pour un si petit village, mais l’architecture baroque de l’intérieur vaut le détour. Consacré à Sainte Julie, patronne de la Corse, sa peinture monumentale de six mètres de hauteur par cinq de largeur trône à droite de l’autel. Je me dirige vers cette œuvre.
    
    Quel tableau étonnant ! Loin des œuvres pudiques de Hironymus Bosch et de Gabriel Cornelius Max, il s’en dégage une très grande sensualité, sans pour autant négliger l’aspect tragique de la croix : celle-ci est transcendée par la beauté de la personne représentée. Une colombe s’échappe de la bouche de la sainte au moment où celle-ci, vêtue d’un simple ...
    ... pagne comme le Christ, succombe sur le bois de sa croix.
    
    Le Christ, justement. Sa sculpture crucifiée, grandeur nature, se trouve juste en face d’elle, de l’autre côté du cœur, de sorte que Julie et Jésus, dans des postures semblables, semblent se regarder l’un l’autre dans un dialogue amoureux qui n’en finit pas. Je m’approche du tableau pour essayer de lire sa signature du peintre, mais sans parvenir à identifier un nom. Une notice manuscrite en bas du tableau indique d’ailleurs que l’auteur est inconnu.
    
    Je me recule de quelques pas pour contempler dans son ensemble cette œuvre incroyable. À l’expression du visage, on dirait que la jeune femme qui a servi de modèle a été vraiment crucifiée tant le réalisme se révèle saisissant. Des petits pieds nus transpercés suinte un filet de sang écarlate jusque dans la terre. Capturée sur un bateau, Sainte Julie a été exécutée pour avoir refusé de sacrifier aux dieux romains. Malgré la violence du thème, un sentiment de paix et de sérénité émerge. La posture altière interroge ; triomphe de la foi chrétienne sur la barbarie, ou bien de l’éternel féminin sur la perversion masculine : qu’a voulu exprimer l’artiste ? Sur un bord de la scène, un centurion s’apprête à trancher les seins qui seront jetés contre les rochers où ils donneront naissance à des sources miraculeuses, comme le veut la légende.
    
    J’ai soudain l’impression que Julie ne regarde plus le Christ, mais moi qui la contemple, et qu’elle me parle mystérieusement. Qu’elle ...
«12...567...19»