1. D'ébène et d'opale - 1/2


    Datte: 06/03/2019, Catégories: fh, fplusag, couleurs, miroir, Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe

    ... promenais en pleine rue, et nos propos avaient bientôt délaissé le champ des banalités coutumières pour déraper vers des évocations plus lestes et sensuelles. Comme toujours, ses intonations chaudes et charmeuses appuyant un discours fleuri d’expressions puissamment suggestives m’avaient conduite à me dissimuler dans un petit square presque désert.
    
    Là, penchée au-dessus de la balustrade encerclant un étang, j’avais écarté les jambes et, tandis que d’une main je tenais mon téléphone, de l’autre, fébrile, glissée sous la ceinture de la jupe, j’avais impudemment visité mes ombrages de Cythère. Les eaux dormantes à mes pieds reflétaient cette scène que j’avais décrite à mon interlocuteur qui me confia l’imaginer aisément, mais en laquelle de surcroît il voulait me voir, superbement dénudée, n’étant nullement, quant à lui, bridé par le carcan de la réalité. Il fut si persuasif que j’en vins moi-même à m’y discerner dans cette tenue. Au reste, il m’avait assurée de la réciprocité de nos pratiques, ce que tendait à confirmer ses ahanements au bout de la ligne. Ses trémolos avaient soutenu mes émois, et l’incongruité de la situation avait multiplié mes transports au moment de l’extase.
    
    Je rêve à de tels plaisirs solitaires partagés, qui m’emplissent d’une humeur lascive tandis que je poursuis ma flânerie sans autre but que celui de laisser libre cours à ces aguichants souvenirs qui me comblent d’aise en peuplant le vide que creusent des pulsions depuis trop longtemps ...
    ... négligées. Ces songeries m’absorbent si totalement que j’en oublie le sens commun et que, par deux fois, je me surprends palpant au travers l’ample jupe noire, avec insistance, mon ventre noué d’envies diffuses. À cette heure, les rues sont heureusement vides, et personne n’a pu remarquer cette attitude équivoque. Je sens tout à coup que l’une de mes jarretelles s’est détachée et qu’elle bat sur ma cuisse nue. Si j’adore porter des sous-vêtements sophistiqués, aux antipodes des collants hideux, je veux que ceux-ci soient impeccables et déteste un bas qui plisse. Aussi, après avoir d’un bref coup d’œil, en avant et en arrière, vérifié que la ruelle est vide, j’appuie ma jambe sur une borne, écarte les pans de ma jupe puis m’applique à tendre consciencieusement la soie noire pour la fixer avec minutie.
    
    Relevant les yeux, je découvre la face hilare d’un grand gaillard, tout d’ébène, accoudé à sa fenêtre, qui a suivi le manège avec la plus vive attention et dont la figure s’élargit d’un large sourire égrillard. Je suis persuadée qu’il n’était pas là, à deux mètres seulement, ou devait se dissimuler derrière ses rideaux lorsque j’ai entamé ma manœuvre ; son apparition me déconcerte si complètement que j’en demeure figée.
    
    Dans mon effarement, j’esquisse une grimace d’excuse et ne pense pas même à rabattre immédiatement ma jupe. Lui, maintenant, aussi satisfait du spectacle que de mon embarras, rit à gorge déployée puis s’éclipse derrière le voilage. Je n’ai qu’à peine le temps de me ...
«1234...12»