1. D'ébène et d'opale - 1/2


    Datte: 06/03/2019, Catégories: fh, fplusag, couleurs, miroir, Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe

    Comme chaque année, je me suis contrainte à deux semaines de vacances et d’exil en une bourgade du lointain Lubéron. Quand je dis « contrainte », c’est qu’en effet j’ai toujours quelques réticences à claquer ma porte, et si je m’en réjouis fort un mois à l’avance, au moment de boucler mon sac je regrette tout autant de m’arracher au confort douillet des habitudes. Quand je dis « lointain », ce n’est pas tant d’éloignement physique qu’il s’agit, car seule une dizaine d’heures de voiture me séparent de Strasbourg, mais de changement d’horizon, de rythme et d’environnement qui induisent l’idée d’une distance.
    
    Selon les usages que je me suis prescrits, je me suis levée très tôt ce matin et, sans seulement déjeuner, je me suis lancée à la découverte de la cité. J’entends profiter pleinement des lumières acides de cette aurore qui saturent violemment les couleurs, découpent et contrastent les reliefs en ombres denses ou en éclaboussures bariolées aveuglantes.
    
    L’orage de la soirée d’hier a lavé l’atmosphère, et aux relents de poussière qui l’engluaient, succède un climat tonique et vivifiant. Les pavés et les murs s’incendient, évaporant de subtils embruns qui fument et en gomment les aspérités pour leur conférer une irréalité vaporeuse. Les odeurs sont revigorées, et une indéfinissable douceur flotte dans un air purifié. En dépit de l’humidité régnante et des fraîcheurs de l’aube, je constate très vite que je me suis trop vêtue et que mes sempiternelles tenues noires ne ...
    ... s’accordent guère à la météorologie ambiante.
    
    En ces heures matinales, la horde des touristes, couche-tard et lève-plus-tard-encore, n’a pas envahi l’espace public, et c’est en toute liberté que j’erre dans le labyrinthe du bourg, choisissant une ruelle ou une autre au gré de mon caprice, d’être au soleil exposée ou par l’ombre protégée. Ne fréquentant ces lieux que depuis deux jours, je n’ai pas acquis une représentation claire de leur topologie et n’en souhaite d’ailleurs nullement. Je préfère m’abandonner aux surprises que me découvrira ce lacis qui si bien accueille, tant les vacuités de mon corps que celles de mon esprit ; et tandis que ma personne se perd dans les méandres du village, mes pensées s’égarent en confuses réminiscences.
    
    Celles-ci bientôt me conduisent vers celui que j’appelle mon amant de cœur. Je dis « amant », car ce vocable éveille des résonances plus intimes que celui de compagnon ; et bien que n’habitant pas sous le même toit, nous menons de concert une large part de notre vie – la plus agréable surtout – à l’exception de ses longs voyages en lesquels mes dernières années d’activité professionnelle ne me permettent pas de le suivre. Actuellement, il est parti depuis trois mois déjà et est probablement isolé au fin fond de l’Éthiopie d’où, selon ce que nous avions convenu, il ne me donne aucune nouvelle.
    
    Je me remémore ainsi ce coup de fil inopiné, échangé il y a plusieurs années, au cours de l’un de ses voyages. Il m’avait appelée alors que je me ...
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