D'ébène et d'opale - 1/2
Datte: 06/03/2019,
Catégories:
fh,
fplusag,
couleurs,
miroir,
Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe
... dernier moment il finit toujours par se raviser. Enfin, avec une désinvolture affectée, il lâche :
— Tu peux te déshabiller, chérie, pendant que je termine le café.
Il a particulièrement appuyé sur « chérie », vocable que je déteste, qui, ici dans ce contexte, s’empreint d’une vulgarité qui me révulse ; mais à nouveau, pour la seconde fois, le fait d’être confondue avec une péripatéticienne m’amuse plus qu’il ne m’offense ; et si l’idée m’indigne, elle m’égaye tout autant. Victime de mes imaginations, je décèle d’ailleurs brièvement l’une de ces dames s’effeuillant prestement en gestes précis et longuement rodés pour illuminer des blancheurs de son corps la pénombre de la pièce.
Étranglée de saisissement, je bafouille :
— Il n’en est pas question ; je vais vous expliquer : je ne voulais pas…
Tandis que le reste de ma phrase expire dans un souffle, hanté par la dévergondée qui, placidement, à présent retire ses bas.
Lui ne distingue pas la vénale créature et se tourne vers moi, me couvant d’un regard intense en lequel la concupiscence cède à la bienveillance, l’impudence à l’intelligence si explicitement que je ne peux douter de sa compréhension de la situation. D’évidence, il réalise fort bien que je ne suis pas une prostituée, même de luxe, et que tout cela résulte d’une pitoyable bévue. J’en jurerais, il ne fait pas son quotidien des catins ; et même s’il brigue mes pauvres charmes bien fanés, il ne me souhaite point de leur engeance. Non, je pense ...
... plutôt qu’il s’est pris à notre jeu imprudent et qu’il s’en trouve présentement aussi confus que moi. S’évoque brutalement mon amie Coralie, moins bégueule, qui moult fois m’a distraite des récits scabreux de ses bonnes fortunes et des plaisirs pervers qu’elle en retirait. Pareille aubaine l’aurait enchantée, et elle s’y serait précipitée sans réserve, entre autres pour m’ébaudir prochainement de la relation de ses inconduites.
Un sourire illumine sa face, renforçant son charme quand, apportant les tasses de café, il déclare :
— Je vois que la petite dame veut me laisser tout le travail !
Il m’en tend une pendant qu’il vide la sienne goulûment.
En me détournant pour bien lui signifier que je ne le crains pas, et pour échapper à la rigueur inquisitoriale de son regard, je soupire :
— Après le café, je m’en vais !
Tandis que j’avale l’amer breuvage en petites gorgées avides, il se rapproche de moi, dans mon dos, sans me toucher, mais si près que lorsque je pivote pour gagner la porte et sortir, je me heurte à lui. Il me domine ainsi de toute sa haute taille et je perçois sa chaleur qui rayonne au travers de nos vêtements. Je frémis, secouée d’un frisson incoercible et profond qui, bien sûr, ne lui échappe pas et me vaut un nouveau sourire. Lentement, très calmement et progressivement comme pour me permettre de fuir, pour m’y engager peut-être, il m’entoure délicatement de ses bras athlétiques. Je suis paralysée et mon angoisse m’enferre dans des velléités opposées ...