1. Fin d'une illusion


    Datte: 02/03/2019, Catégories: sf, Auteur: Hidden Side, Source: Revebebe

    ... chaste baiser. Fermant les yeux, Eva me congédia d’un simple battement de cil. Je restai à ses côtés un moment, jusqu’à ce que son souffle se fasse lent et mesuré. Puis je quittai la pièce sur la pointe des pieds.
    
    ooOOoo
    
    Je ne suis pas un littéraire, encore moins un philosophe, mais il me restait de mes études secondaires un souvenir éclairant d’un jour particulier notre situation. C’était le fameux « Je pense donc je suis » de Descartes. L’impact qu’avait eu sur moi ce texte venait du fait que le théoricien y remettait en cause la réalité de son existence, de ses perceptions, allant même jusqu’à imaginer qu’il puisse être fou, aliéné délirant enchaîné au fond d’une cellule.
    
    Après des pages et des pages de monologue, la seule conclusion indiscutable à laquelle arrivait ce pauvre Descartes était celle de sa propre existence, condition nécessaire pour que sa pensée puisse s’exprimer. Bien mince consolation ! Mais peut-être n’avais-je pas saisi toute la portée philosophique de ce texte…
    
    Néanmoins, une phrase du Discours de la Méthode me revenait en mémoire : « Ne se pourrait-il pas que nos sens nous trompent tout le temps, comme dans le rêve ou la folie ? » Plutôt approprié, pour la circonstance…
    
    Étais-je en mesure de me fier à mes sens ? Est-ce que l’expérience tangible de mon environnement quotidien suffisait à m’assurer qu’il soit réel ?
    
    Du point de vue d’Eva, il n’y avait aucune place pour le doute. La force de conviction avec laquelle elle remettait en ...
    ... cause notre réalité était effarante. Le discours dont elle s’était convaincue reposait sur une logique imparable, à la dangerosité séduisante : ce simili monde ne pouvant être mis en défaut, le simple fait que j’aie pu m’en échapper par la concentration et l’effort physique prouvait qu’il n’était pas réel. Aucune argumentation raisonnable n’était en mesure de contredire une telle hypothèse…
    
    Dans quelles pathologies mentales tenait-on ce genre de propos, à la fois délirants et extrêmement élaborés ? La schizophrénie ? Était-ce là le trouble à l’origine du comportement d’Eva ? Est-ce que ça pouvait vous tomber dessus d’un seul coup ?
    
    — Ajoute à la violence de l’accouchement les possibles atteintes neurologiques, multiplie par les conditions extrêmes de ces derniers mois, et tu l’as, ta réponse… En clair, elle a fini par basculer dans la folie.
    
    Il me semblait me rappeler que la plupart des schizophrènes sont enclins aux hallucinations. Cet invraisemblable scénario serait-il né d’une chimère, d’une expérience faussement vécue ? Possible, et même probable.
    
    — Ah oui ? sifflai-je entre mes dents. Quand bien même, comment comptes-tu la guérir ?
    
    De cela, je n’avais pas la moindre idée.
    
    ooOOoo
    
    Le lendemain, Eva quitta le lit pour la première fois en douze jours. Elle était aussi faible qu’au sortir de l’abri antiatomique Chenevier. Tandis que je la soutenais d’un bras, elle s’appuyait sur mon épaule. Notre première halte fut pour la porte des WC.
    
    — Tu sais, là-bas ...
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