1. Les sentinelles


    Datte: 21/02/2018, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... Dans le recoin du cabinet, bêtement statique, elle ne peut que baisser la tête et pleurer.
    
    Je ne suis pas ce qu’ils me disent.
    
    Ils te façonnent.
    
    Non.
    
    Ils se servent de toi.
    
    Christine secoue la tête. Pose une main sur le téléphone. Compose un numéro à cinq chiffres. Une voix dont elle ne parvient pas à savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme dit :
    
    — Quand ?
    — Ce soir.
    — Bien, Madame. Sur votre compte habituel ?
    — Oui.
    
    Elle allume une cigarette, défait les attaches dans ses cheveux qui se dénouent sur ses épaules.
    
    Elle lit, grignote une pizza sur un coin de son bureau. Fume encore quelques Kraven. Avale un scotch puis un autre. Personne ne l’attend chez elle. C’est ici chez elle. Dans ce cabinet. Elle s’y sent mieux que dans son appartement. Souvent, elle dort sur le divan. Rêve des consultations du jour. S’oublie dans des spirales de mots.
    
    Elle attrape son magnéto, rembobine au hasard, appuie sur lecture, une voix d’homme, solide. Un bâtisseur. Monsieur P. Monsieur Putain de directeur, Monsieur Putain de paire de couilles. Peur du vide. Complexe d’infériorité. Tendance à la traiter comme sa secrétaire.
    
    «- Vous comprenez, je ne peux pas me permettre de laisser filer. Ils reniflent la merde, ils reniflent les problèmes. J’ai besoin d’être fort. Fort tout le temps. C’est de ça dont on parle Docteur, c’est Docteur n’est-ce pas ?– (Silence)– J’ai besoin que vous me redonniez de la puissance. »
    
    Rembobine encore.
    
    Madame D., mariée, deux ...
    ... enfants, quarantaine en approche. Désert affectif. Froideur de façade. Difficile à manœuvrer.
    
    «Il ne me touche plus. Et les rares fois où il daigne m’approcher, il ferme les yeux. Je veux dire, il les ferme vraiment, comme s’il ne voulait pas me voir, comme si je n’existais pas. Alors, je ne peux pas détacher mon regard de ses paupières, je regarde ce mur. C’est de la chair. Mon corps me fait horreur, je… »
    
    Rembobine encore.
    
    Madame V., trente-huit ans. Séparée. Alcoolique. Peau abîmée. Capacité d’abstraction même pendant les séances. Aucun espoir de réussite. Seulement pour l’argent.
    
    «Ce n’est pas simple de traverser la ville. Je bois depuis tellement longtemps. Ce n’est pas simple tous ces regards. Tous ces sales regards sur moi. Je bois parce que je n’y arrive plus. La ville m’effraie, j’aimerais rester chez moi toute la foutue journée si ça ne tenait qu’à moi. »
    
    Rembobine encore.
    
    Monsieur W., quarante-huit ans, perte de confiance, boulimie, calvitie, grand, beaucoup de TOC visibles, dit tout et son contraire :
    
    «Je sais que je peux m’en sortir. Je lui ai parlé, vous savez, je lui ai parlé. Mais elle n’écoute pas. Je ne sais pas, je ne sais pas, son regard depuis que j’ai perdu mon travail. Son regard sur moi, je ne le supporte plus. »
    
    Rembobine encore.
    
    Madame G., cinquante-quatre ans, tendance à l’abattement : capacité à pleurer selon les signaux envoyés et l’intensité de la voix utilisée.
    
    «C’est un bon chien, un bon… »
    
    Rembobine.
    
    Monsieur ...
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