1. On ne peut pas faire le bonheur des autres contre leur gré


    Datte: 24/02/2019, Catégories: vengeance, portrait, Auteur: Kris, Source: Revebebe

    Pause café…
    
    Ce petit bistrot à côté de chez elle n’a vraiment rien d’extraordinaire. Le mobilier classique du catalogue du parfait cafetier, certainement du premier prix, un comptoir formica, sur les murs et plafond une peinture jaune nicotine, au sol un carrelage ciment moucheté, pour toute décoration des miroirs aux armoiries de célèbres bières belges, un tableau d’affichage pour chiens perdus et mortuaires et, bizarrement, un crucifix au-dessus de la porte.
    
    Et pourtant tous les matins c‘est là qu’elle aime se retrouver. Le patron est souriant, aimable et discret. Il a su reconnaître en elle l’habituée qui a besoin d’un petit sourire et qu’on la laisse tranquillement finir son rituel d’éveil devant son expresso.
    
    Quand elle s’installe à sa table préférée, le temps d’enlever son manteau et de le poser sur la banquette et son petit noir serré et crémeux est là, fumant, une mousse parfaite, un sucre, un spéculos, et tout ça sans avoir rien à demander. Ce cafetier est l’homme idéal de ses matins, attentionné et silencieux.
    
    Tout en mélangeant doucement sa dose matinale de caféine, elle regarde la douce écume et ses variations de beige. Si certains lisent l’avenir dans le marc de café, elle, c’est son passé que lui raconte cette mousse. Elle n’a jamais rien noyé dans l’alcool, c’aurait été trop d’honneur à la tristesse, non, elle a préféré l’amertume du judicieux mélange d’arabica et de robusta et surtout cette mousse légère, la seule douceur dans ce monde de ...
    ... brute.
    
    Son divorce : un expresso au café de la gare, la mort de son père : un café au comptoir du bistrot des amis, son dernier licenciement : un long au Starbucks, dans un gobelet en papier comme le résumé de sa vie professionnelle, avec un couvercle par dessus, comme pour vous dire « vous pouvez l’emporter, ne vous sentez pas obligée de rester ».
    
    Elle ne sait plus s’il y a eu des cafés heureux, des cafés dont le goût n’avait pas d’importance tellement l’instant en valait la peine. Elle sait que le court instant où le breuvage l’envahit, elle n’a pas de choix à faire, pas de décisions à prendre, juste quelques secondes de bonheur avant… avant que tout reprenne, que la réalité soit ce quelle est, journalière, répétitive, agaçante et solitaire.
    
    Le nectar se révèle à la hauteur de ses espérances, la journée peut commencer. Elle laisse la monnaie à côté de sa tasse, le compte juste comme d’habitude, se lève, enfile son manteau, se dirige vers la porte. Lui, il se dirige vers la table et la gratifie de son quotidien :
    
    — Merci, à demain.
    — Oui, à demain.
    
    Et après demain et ainsi de suite, jusqu’à quand, elle ne le sait pas ; mauvaise question sûrement.
    
    Un peu d’ordre dans mes pensées, se dit-elle, organisation et méthode. Elle sait que, sans cette pause, elle en serait incapable.
    
    Une demi-heure de route pour décider du dossier prioritaire.
    
    C’est vrai qu’elle est chef maintenant. En fait le licenciement, juste au moment de sa séparation, fut une bonne chose. Un peu ...
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