1. Nuits d'oppression


    Datte: 16/02/2019, Catégories: forêt, voyage, bateau, nonéro, journal, fantastiqu, fantastiq, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... immobile, les bras pétrifiés sur la rambarde de bois, comme paralysé, comme fixé ; et les lèvres serrées, je sens la transpiration rouler sur ma nuque, mes tempes, dégouliner sur mon visage, et je continue à regarder entre mes yeux mi-clos, entre les gouttes salées qui poissent mes paupières. La chaleur m’embrase, mais je ne bouge pas ; j’ai peur qu’il ne m’arrive quelque chose si je tente le moindre geste pour fuir. Je sais que c’est stupide, mais ce pays est tellement différent, tellement étrange.
    
    Mes pensées tournent sur elles-mêmes, se noient, comme privées de direction. Je ne peux plus raisonner, je ne peux plus questionner. Je reste simplement là, les pieds cloués au sol, et c’est quand l’étreinte de la forêt semble se relâcher que j’ose me retourner, lentement, et rentrer au fond du navire. Très lentement. Pour ne pas réveiller les yeux qui observent, les yeux qui ne sont pas humains…
    
    Mais je n’arrive toujours pas à penser. Mes idées sont engluées dans la chaleur et la terreur, comme du chewing-gum sur du goudron brûlant. J’essaie désespérément de les ordonner, de les maintenir sous un certain contrôle, mais toujours, elles m’échappent, se rient de mes vains efforts…
    
    À présent, je reste dans ma cabine le jour : je dors. Il n’y a rien d’autre à faire, ici. Les autres font comme si je n’existais pas, je ne manque donc à personne, et mon travail, je le fais la nuit. Pendant la journée, il fait beaucoup trop chaud pour travailler, et de plus, la sensation que la ...
    ... forêt nous menace et nous attend est de plus en plus intense… j’ai vraiment peur de sortir sur le pont maintenant, qui sait si elle ne va pas me happer et me torturer si je la regarde trop longtemps ?
    
    J’ai remarqué que beaucoup d’hommes font comme moi. Je les croise, ombres errantes le long des murs, dès que la nuit tombe sur notre horizon restreint. Ils ne parlaient pas beaucoup, mais là, je dois avouer qu’ils ne parlent plus du tout. Qu’y aurait-il à dire ?
    
    Je peux à peine bouger. Les membres de mon corps ne m’obéissent plus, j’ai du mal à me traîner hors de ma couchette crasseuse.
    
    Je suis terrifié.
    
    La terreur gèle mes nerfs, mon sang, mon corps entier. D’où le dysfonctionnement de mes mouvements.
    
    Les nuits froides me saisissent à la gorge aussi bien que les jours, mais ces nuits-là, c’est l’oppression qu’elles amènent, l’écrasante panique que seul ce monde exotique reflète. Je me demande si je ne préférais pas la chaleur, mais je suis incapable de me lever le jour.
    
    Parfois, je vais faire un tour sur le pont. Les planches grincent, il y a toujours ce bruit inquiétant, venant des rives. La lune éclaire maladroitement les endroits où je mets des pieds prudents, mes yeux fouillant chaque recoin sombre, et la frange épaisse et noire des cimes des arbres de la forêt…
    
    L’autre nuit, le capitaine est venu s’appuyer au mât. J’ai eu l’impression qu’il me regardait sous sa casquette obscure, mais je n’en suis pas sûr. J’étais à moitié assis par terre, le dos contre ...