1. Nuits d'oppression


    Datte: 16/02/2019, Catégories: forêt, voyage, bateau, nonéro, journal, fantastiqu, fantastiq, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    Parfois, mon pays me manque.
    
    Puis je n’y pense plus.
    
    C’est comme un cauchemar qui ne prend jamais fin, une longue et terrible suffocation ; je me débats, je hurle quelquefois, mais partout où je respire, c’est un air moite et lourd, c’est comme si on m’enfonçait un chiffon humide dans la bouche. J’ai peur, parfois, de mourir étouffé. Cette contrée est si sauvage, si farouche, et surtout, si étrangère.
    
    Parfois, oui, mon pays me manque.
    
    Puis je n’y pense plus.
    
    Je suis arrivé sur ce bateau depuis quelques mois, déjà. J’ai souvent l’impression qu’il n’arrivera jamais au bout de sa course, que je suis condamné à passer le reste de mes jours dans cette cabine usée et vermoulue qui exhale une atroce odeur de pourriture.
    
    Que faire, à ces moments-là ? Prier ? Il y a bien longtemps que j’ai cessé d’implorer la clémence de Dieu. Je n’ai plus rien à lui demander, et aussi plus rien à lui offrir.
    
    Dieu m’a-t-il seulement écouté, une seule fois dans ma vie ? Exilé de ma patrie, suis-je également renégat de ma foi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je ne sais plus parce que je ne pense plus. Je suis enfermé dans un cocon de chaleur et d’ennui, harassé par la pesanteur de l’air, par la solitude que mes journées poursuivent inlassablement.
    
    L’ennui. Le vide. Rien à faire, à part ces petits gestes désespérants de monotonie : laver le sol, parler par monosyllabes, manger, dormir. Scruter l’horizon, encore et encore, scruter les rives, de chaque côté du fleuve, à la ...
    ... recherche du moindre indice, du moindre signe de vie.
    
    Mais les rivages sont vides et inertes, et chaque jour, mon cœur se serre davantage devant ces côtes mortes. Quand le bateau arrivera-t-il à son port ? Quand trouverons-nous de l’or ? Ces questions parcourent incessamment mon esprit fatigué, le labourent, l’usent comme une éponge rongée, dont on ne peut plus tirer une seule goutte d’eau.
    
    Briquer le sol. Nettoyer. Mettre la table, la débarrasser. Manger, dormir. Et à chaque instant, étouffer dans ce rafiot où ne circule pas un souffle d’air. M’ennuyer jusqu’au point d’en devenir fou. Que faire, que faire ? Mes pauvres compagnons d’infortune sont aussi mal en point que moi ; chaque jour plus minces, leurs yeux comme des crevasses dans ce masque de papier mâché ; chaque jour plus désespérés. D’ailleurs, je ne les connais pas. La compagnie les a embauchés pour le même travail que j’aurais à accomplir, mais aucun de nous ne vient de la même région. Comme par un fait exprès.
    
    Cela concerne aussi le capitaine. Il parle une langue étrange, où parfois je crois distinguer un accent anglais. Mais les mots qu’il forme sont aussi incompréhensibles que la durée de notre voyage. Quand arriverons-nous au port ? Est-ce que le capitaine est fou ?
    
    Cette dernière suggestion m’a été soufflée à l’oreille par un petit barbu, à la peau mate et au torse couturé de cicatrices. Je le revois encore, vêtu de son grossier pantalon de toile, me dire à l’embarquement : « Méfiez-vous mon gars, le ...
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