1. Féérie


    Datte: 04/01/2019, Catégories: nonéro, confession, Humour merveilleux, Auteur: Radagast, Source: Revebebe

    De nombreuses personnes s’imaginent les forestiers en êtres frustres, genre pithécanthropes, australopithèques ou, au mieux, Néandertaliens ; que nous vivons dans des cavernes – pour les plus fortunés, dans des cabanes nichées dans la cime d’un chêne multicentenaire – bien entendu au fin fond de la forêt la plus reculée ; que nous n’avons pas le moindre contact avec le monde dit civilisé ; que nous sommes peut-être aussi des ivrognes invétérés.
    
    Ne riez pas, braves gens : j’ai entendu ce discours dans la bouche d’un ministre de l’environnement.
    
    Ce afin d’expliquer la raison pour laquelle quatre de mes collègues, dont un ami, venaient de mettre fin à leurs jours, le tout en l’espace d’un mois.
    
    Nous sommes pourtant tous dotés de sensibilité, cultivés, dotés d’un fort sens de l’humour.
    
    Aimant les bonnes et les belles choses. Goûtant aux plaisirs de la vie, aimant la bonne chère, le bon vin ou la bière. Avec modération bien évidemment. Goûtant aussi la présence du sexe opposé. Sans modération !
    
    Mais cette convivialité se perd, sous l’impulsion de technocrates sans âme, sans cœur, et même sans couilles.
    
    En effet, depuis de trop nombreuses années, notre métier évolue. Pas en bien.
    
    « Toujours plus » semble être la devise de nos supérieurs. Avec moins de moyens, moins de personnel, et du matériel de plus en plus défectueux. Comme partout, me semble-t-il. Des travaux de plus en plus variés, à la limite de nos compétences et connaissances.
    
    Débutant, je ...
    ... m’occupais de 900 ha. Maintenant, 2200 !
    
    Et pour couronner le tout, depuis plusieurs semaines, je suis fatigué ; je m’endors dans les endroits les plus étonnants : pendant des réunions, et même une fois au volant de ma voiture.
    
    La chaleur actuelle n’arrange pas mes affaires. J’aime la chaleur, mais cette fois elle me lamine.
    
    Et aujourd’hui, ultime tracas, coup de fil de mon supérieur :
    
    — Jean-Pierre ? Il faudrait que tu ailles dans les parcelles 30 et 32 évaluer le volume exploitable ; on a besoin de bois, urgent.
    — Putain, ils font chier à l’agence. Je n’ai pas que ça à faire. J’irai cet après-midi. Mais ça me fait chier !
    
    Sur ces fortes paroles, je raccroche, en rogne. Il n’y peut rien, le malheureux, mais il fait les frais de ma fatigue et de mon exaspération.
    
    Depuis plusieurs mois il faut du bois. Quels qu’en soient la facilité d’exploitation ou le lieu.
    
    Si ces exploitations provoquent des dégâts, tant pis.
    
    Je suis d’autant plus en colère que j’aime ce coin de forêt ; je le surnomme « le Domaine des Fées ».
    
    Il y règne un je ne sais quoi de mystérieux. De légers bancs de brume flottent entre les arbres. Une multitude de petits ruisseaux y serpentent, entrecoupés de mares. Des plantes étonnantes y poussent : des droséras, de minuscules et timides orchidées blanches, roses ou nacrées ; des mousses, lycopodes et autres sphaignes recouvrent le sol. Toutes plus rares et plus fragiles les unes que les autres.
    
    Sans compter les animaux : lézards vivipares, ...
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