1. Où sont passés les poivrons jaunes ?


    Datte: 13/02/2018, Catégories: caférestau, nonéro, amiamour, consoler, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... je vois qu’elle a fuité. Je ne savais pas comment te le dire, mais puisqu’elle t’en a parlé… Oui, Géraldine et moi, nous divorçons. Cette fois, c’est sûr.
    — Quoi ?
    — Nous sommes tombés d’accord depuis longtemps : nous ne nous aimons plus. Voilà, c’est la vie.
    
    Toute une institution venait de s’écrouler. Mariés depuis 5 ans ! Un soupçon naquit dans mon cerveau survolté.
    
    — Est-ce que tu crois qu’à cause de vos problèmes tu t’es mis à…
    — Non, Hélène, s’il te plaît ! m’a-t-il coupée derechef. Arrête avec ça ! Je me doutais que tu allais encore me bassiner ! Ça n’a rien à voir. Toi et moi, c’est plus possible. Je te l’ai dit, je ne crois pas en l’amitié homme/femme. À quoi bon continuer ?
    
    J’ai raccroché en pleurs. Eh oui. Je suis une chialeuse, on se refait pas.
    
    Un soir qu’on dînait paisiblement avec les enfants, mon mari m’a regardée. Fixement.
    
    — Tu vas bien ? Je te trouve bizarre en ce moment. Depuis cette histoire avec Fabrice… je vois bien que ça ne va pas.
    — Mais non, ai-je menti (mal, si je puis l’avouer).
    — Pourtant je sais bien que tu n’es pas au mieux de ta forme. Regarde le plat de ce soir, sincèrement ?
    
    Je lorgnai mon assiette. Purée, steak.
    
    — Euh… je ne te suis pas.
    — C’est comme ça tous les soirs maintenant.
    — Euh…
    — Où sont les poivrons jaunes ?
    — Hein ?
    — Ou rouges, oranges… Les tomates ? Les carottes ? Un peu de vert, peut-être ? Du rôti au curry ? De l’entremet à la rose ?
    — Mais enfin chéri, qu’est-ce que tu…
    — C’est bien fade, ...
    ... tout ça, ça ne te ressemble pas. Tu t’éclates en cuisine, d’habitude. Y’a de la couleur partout. Depuis quelque temps, ça devient tristounet.
    
    Éberluée, je l’ai dévisagé un long moment. Il mangeait tranquillement, impassible, tout en me surveillant de temps à autre. Les enfants rigolaient entre eux, de la purée leur sortant des oreilles. La télé diffusait un rébarbatif reportage sur un certain Brodsky (poète reconnu que je ne connaissais évidemment pas) qui avait été arrêté pour attentat à la pudeur. Pour ma part, je pédalais dans la semoule. Mais c’est peut-être de l’art, ça aussi ? Rien qu’à l’imaginer, on sent bien que c’est tout un concept, ce pédalage de semoule. Ainsi je découvris que mon mari évaluait les degrés de mon bonheur familial à la teneur de nos assiettes. Intéressant. Bon et concernant mon affaire, que lui dire ?
    
    — Tu crois qu’un homme peut être ami avec une femme sans arrière-pensées ? lui ai-je demandé, à tout hasard.
    
    Il a haussé les épaules.
    
    — Non.
    
    Ce que j’ai toujours apprécié chez mon mari, c’est sa manière brute et incisive de clarifier le fond de sa pensée en très peu de mots. J’ai laissé tomber. Je savais que je n’en tirerais rien d’autre, de toute façon.
    
    J’aurais dû le questionner après une partie de jambes en l’air. Là, il est loquace !
    
    *
    
    Alors, j’ai continué ma quête désespérée. Il fallait bien que je me raccroche aux branches. Que je trouve un sens à tout ce merdier.
    
    Un matin que je noyais mon cafard dans mon café noir, ...
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