Le rire de l'Ogre
Datte: 20/11/2018,
Catégories:
nonéro,
portrait,
Humour
Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe
... le précédent ». François affiche un sourire béat dont je connais aujourd’hui le redoutable présage. Il laisse venir, démarre très sec et en trois questions de plus en plus pressantes il obtient un échec et mat imparable, fait éclater de façon irréfutable que l’autre n’a jamais lu une page de lui. Je l’entends encore, en se levant de sa chaise, jeter à la caméra :
— Recevoir les compliments d’un fasciste… merde, ça me ferait mal !…
J’interroge mon père sur le sens de ce mot : fasciste. Je n’obtiendrai que des réponses évasives. Je me documenterai par moi-même. Cette scène marquera la naissance de ma conscience politique. Déjà, à cette époque, François Ravelais joue à mon égard le rôle d’un guide. Tel est l’homme que mon père a invité à séjourner chez nous à Château-Thierry.
Invitation non désintéressée. Charles a, bien sûr, dans l’idée de bénéficier de l’aura du personnage à l’occasion des élections municipales. Il a bien besoin de ce possible apport de voix car son adversaire de gauche, chaleureux, charismatique et surtout riche d’un projet plus cohérent, le menace d’une défaite plus qu’humiliante. Que l’Ogre, dont les positions politiques ne sont mystère pour personne, accepte de prêter son image à un petit notable outrageusement conservateur en a surpris plus d’un. Mais l’homme est possédé de la passion de prendre ses contemporains à contre-pied. Vous l’attendiez ici ? Il sera là-bas…
… À noter qu’au jeu de l’arroseur arrosé, mon cher père risque de remporter la ...
... palme car l’Ogre exprime toujours, sans pudeur ni restriction ses états d’âme et ses opinions. De toutes les façons, le résultat de ces élections me laisse d’une indifférence abyssale.
Écrire : je suis en admiration devant cet homme, relèverait du mensonge le plus éhonté. Huit jours avant son arrivée, je ne tiens plus en place en me répétant : je vais rencontrer François Ravelais, je vais rencontrer François Ravelais !… Plus extraordinaire encore : nous allons vivre sous le même toit…
Oublions l’invraisemblance du fait et supposez que l’on vous annonce : Jésus-Christ (ou Bouddha, ou Mahomet, rayez les mentions inutiles) va passer une huitaine chez vous…
J’avais alors seize ans. Une bonne partie de ma personnalité – pensée politique, projets personnels, vision de l’existence – a été modelée par cette admiration pour « l’écrivain scandaleux ».
Fils de notable, tout me destinait à suivre les traces paternelles sur les terres de la droite bien pensante. Mais mon drapeau est noir à l’image de celui de François Ravelais.
Je suis né à l’écriture à travers ses livres. Une résolution inébranlable : le métier des lettres ou rien. Écrire pour changer la vie, une écriture offensive, la plume en guise de baïonnette. Selon la philosophie de l’homme que je me suis choisi pour maître. À travers son exemple enfin, j’ai acquis la Volonté de vivre non pas de façon terne et étriquée à la manière des petits bourgeois de province, mais fortement, joyeusement, avec excès.
Dans un ...