1. Chaos, l'immesurable abîme


    Datte: 16/09/2018, Catégories: nonéro, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... tête.
    
    « Arriver à quoi » ? s’époumonait-t-elle intérieurement.À quoi ? criait-elle encore.
    
    Mais elle ne dit rien d’autre que cette petite phrase, d’une voix tremblante :
    
    – Il me manque.
    
    Fanny arrêta une deuxième fois de trier la paperasse et regarda Liana au fond des yeux. Par la suite, Liana se souviendrait encore longtemps de la voix douce et persuasive de sa sœur, de la lumière qui passait à travers les stores à moitié baissés, du ronronnement léger de l’ordinateur en veille, du roucoulement continuel et presque apaisant des pigeons nichés sous la corniche pierreuse de l’école ; et du battement trop rapide de son cœur, aussi, du sang qui remplissait ses oreilles d’un sifflement de plus en plus oppressant.
    
    – Tout va s’arranger, petite sœur, murmura lentement Fanny, comme si elle avait effectivement pu voir dans l’avenir que tout allait s’arranger. Tout n’est qu’une question de point de vue. Quand tu auras dégagé l’horizon de tes perceptions, tu verras que la vie t’apparaîtra beaucoup plus claire.
    
    Discours plus ou moins obscur. Elle se tut un moment avant d’ajouter, d’une voix sourde :
    
    – Et tu oublieras ce petit salaud.
    
    Liana avait beau se sentir mal, elle se rendait compte que le moment était censé atteindre une intensité dramatique. Mais elle n’avait aucune intention de laisser la tragédie entrer dans sa vie. Tout était suffisamment noir pour ne pas en rajouter. Elle pensa au jeune homme de la salleSatie, elle pensa à ses yeux, à l’histoire du ...
    ... point de vue et dit candidement :
    
    – Ce doit être à cause de la patate.
    
    Fanny eut l’air complètement désorienté. Elle la fixa avec des yeux ronds et hébétés, n’osant peut-être pas croire que Liana venait de briser la tension du « Moment dramatique » avec une blague à deux balles d’euros dont elle ne comprenait même pas le sens.
    
    Liana se racla la gorge avant que sa sœur ait pu se reprendre et lui demanda si elle avait pensé à rapporter le recueil de poèmes de Laforgue.
    
    – Euh oui, grogna Fanny en fouillant soudain dans un tiroir, encore légèrement incrédule. Je l’ai mis là, il y a deux jours, au cas où tu passerais.
    
    Elle le trouva et le tendit à sa sœur, sans oser la regarder. Puis elle se tourna vers l’ordinateur et le mit en route.
    
    – Et alors, s’impatienta Liana. Tu en as pensé quoi ?
    
    – Oh, tu sais, moi, les poèmes, dit Fanny d’une voix molle.
    
    Liana ne fit aucun commentaire et enfourna le livre dans son sac. Elle parla un moment de choses et d’autres avec Fanny, avant de déclarer qu’elle allait la laisser travailler.
    
    – Au fait, dit-elle comme en passant, j’ai croisé un garçon ici tout à l’heure, il avait des yeux magnifiques.
    
    Fanny tourna soudain vers elle un regard plein d’espoir.
    
    – C’est pas vrai ! s’exclama-t-elle avec excitation. Un garçon t’a plu ?
    
    Liana retint la réplique acerbe qui lui venait aux lèvres et garda une voix neutre.
    
    – Je n’ai pas dit qu’il m’avait plu. J’ai dit qu’il avait des yeux magnifiques. Il te cherchait d’ailleurs, ...
«1...345...8»