Aphasie
Datte: 30/09/2021,
Catégories:
fh,
fplusag,
couple,
médical,
Collègues / Travail
amour,
pénétratio,
fsodo,
init,
initiatiq,
Auteur: Roy Suffer, Source: Revebebe
... de leur mariage. Ensuite ils ont fait attention puisque je suis resté seul. Ils n’avaient pas le temps.
Le temps, ils vont l’avoir maintenant, pensé-je en suivant le corbillard dans l’allée du cimetière. Ils allaient à un salon à Genève. Un camion s’est déporté sur sa gauche à la sortie d’un virage, la chaussée était humide et glissante, mon père n’a pu le voir qu’au dernier moment. Le chauffeur a fait tout ce qu’il a pu pour redresser, mais la lourde remorque est partie en travers. Le choc impitoyable. Deux morts sur le coup. Je suis orphelin. Tout s’est précipité si vite. Appelé au bureau du proviseur. Stupeur, il y avait deux flics pourtant j’étais certain de n’avoir rien fait. Ils m’ont emmené à l’hôpital, la morgue, l’horreur. Et puis tous ces gens autour de moi, je n’en connais pas le quart. Les employés de l’imprimerie, bien sûr, à la fois tristes et inquiets pour leur avenir. Eux sont sincères, les autres jacassent à voix basse. Une bonne partie se retrouve dans « la rue ». Ce que nous appelons la rue, c’est une cour pavée toute en longueur entre l’atelier et la maison, fermée au fond par un petit entrepôt où l’on stocke le matériel et qui permet de passer de la maison à l’atelier sans sortir. C’est là que les camions reculent pour livrer. C’est là que j’ai joué tout seul pendant des années, où j’ai appris à faire du vélo. Et ces gens qui parlent, qui parlent… à voix haute maintenant que les défunts sont inhumés.
—Et l’imprimerie qu’est-ce qu’elle va ...
... devenir…
—Et ce gamin, qu’est-ce qu’il va devenir…
—J’espère qu’ils avaient une assurance-vie…
—Tout ça ce sera vendu aux enchères, c’est sûr !
Et gna-gna-gna et gna-gna-gna. Ils me saoulent. J’ai envie de les foutre tous dehors en leur gueulant dessus. Ça ne servirait à rien, une fois le lourd portail passé, ils continueraient sur le trottoir. Certains regrettent qu’on n’ait pas servi une petite collation, « ça se fait tout de même, surtout quand on vient de loin ». Tiens, ça me fait penser que je n’ai rien mangé depuis quatre jours, depuis qu’on est venu me chercher au lycée. C’est drôle, c’est comme s’ils se mettaient à parler de plus en plus fort… Et puis les pavés de la cour se mettent à danser, et grossissent, grossissent. Il faisait sombre et soudain tout devient éblouissant. Rideau…
Lumière à nouveau, aveuglante. Je dois rêver. J’entends de nouveau des gens parler, pas les mêmes, et puis un bip-bip lancinant et agaçant.
— Il revient à lui…
— Sa tension remonte un peu, on est à neuf…
— C’est pas assez…
Des formes, des formes de gens, avec des blouses blanches, des bonnets, des masques… C’est pas « Star Wars », c’est l’hôpital. Pour moi maintenant apparemment. Ouf oui, j’ai un mal au crâne ! J’y suis, les pavés de la cour. Bon, pas grave, on se connaît bien eux et moi, j’en ai pris des gamelles en apprenant à faire du vélo. Et l’autre guignol qui vient me mettre sa lampe pile dans les yeux.
— Vous m’entendez ? Répondez-moi…
Si je veux. Et là maintenant je ne ...