1. Le ridodo


    Datte: 18/07/2018, Catégories: fh, hplusag, vacances, amour, cérébral, noculotte, Oral coupfoudr, Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe

    ... sinistre.
    
    Le ciel se couvre. Tesla me tire de mes pensées, travaux, ralentissements, je dois reprendre la main. Au sortir d’un tunnel, on n’avance plus, bouchon, on roule à touche-touche. On s’arrête.
    
    La pluie commence tomber, grosses gouttes grasses qui explosent sur mon capot.
    
    Sur mon capot, mais pas sur mon pare-brise ! Une pluie qui rince toutes les voitures devant moi, mais pas mon pare-brise !
    
    Putain ! Le ridodo ! Le rideau d’eau !
    
    Ce rideau d’eau qu’Harold avait traversé juste avant d’arriver à la crique, le Taxi Mauve, la parenthèse enchantée. Il m’avait raconté.
    
    Je regarde, hallucinée, ce rideau fluide ondulant sur mon capot, qui semble hésiter à m’engloutir. Je murmure :
    
    — Viens, tu peux avancer, tu peux fermer la parenthèse !
    
    Hier matin, comme prévu, programmé depuis un an, Harold s’est endormi.
    
    — J’ai deux cancers, qui se tirent la bourre, il me reste un an à vivre, un an et demi grand max.
    
    Tu m’étonnes que j’aie pleuré, direct, ce matin-là sur le canapé ! Comme entrée en matière de son monologue, Harold pouvait difficilement trouver pire. Eh ben, si ! Il en a rajouté une couche, terrible, terrifiante :
    
    — J’ai eu soixante ans ce lundi 2 octobre, mais quoi qu’il arrive, je ne soufflerai pas d’autre bougie. Ces dernières semaines, j’ai pris contact, retenu et payé d’avance une chambre, et le reste, dans une clinique suisse, pour le 30 septembre prochain au plus tard. Je pourrai y aller plus tôt, si mes crabes ne m’en laissent pas ...
    ... le choix. Je veux partir en pleine forme, ou à peu près. Je ne suis pas assez fort pour souffrir. Alors, pas de soins palliatifs, pas d’acharnement thérapeutique. Une injection, une seule, ou une pilule, je ne sais pas vraiment comment ça se passe. Mais c’est mon choix, ma décision, irrévocable : euthanasie, enfin en Suisse, ils disent suicide assisté. C’est mon choix, ma seule issue, la plus acceptable, la seule acceptable en tous cas.
    
    Pendant plusieurs minutes, je n’ai plus rien entendu de ce qu’il me disait. Il s’en était bien rendu compte. Alors, il avait réexpliqué, sa solitude depuis la mort, à trois mois d’intervalle, de sa femme et de leur fils, quinze ans plus tôt.
    
    Il m’a expliqué qu’il voulait nous léguer ses biens, pour assurer notre avenir à Hugo et à moi. Il ne me demandait même pas de le rejoindre, de quitter Paris.
    
    — Par contre, si tu veux, tu peux aussi prendre ma suite dans mon activité. Maintenant que tu sais faire des rendus photos ! Mais ça, par contre, cela supposerait que tu viennes t’installer en Alsace, que tu abandonnes Paris. Et pas trop tard, pas dans onze mois, que je puisse te passer le relais correctement.
    
    Nous donner tout.
    
    Sans rien, sans contrepartie.
    
    Il m’avait fait jurer de ne poser aucune question, de ne donner aucune réponse. Et pourtant, ce matin-là, j’en avais moi des questions, des réponses, des colères, des chagrins, des révoltes !
    
    Dès le lendemain de notre séparation, je lui avais envoyé un mail pour refuser toutes ...