1. Fauteuils de cuir et peau de vache


    Datte: 11/06/2018, Catégories: autostop, Humour coupfoudr, Auteur: Guust, Source: Revebebe

    Il fut un temps où les marchands de meubles, de vins fins, d’aspirateurs et autres acharnés vendeurs de camelote semblaient m’avoir pris pour cible. Était-ce parce que mon profil correspondait à celui du pigeon de première classe, ou plus simplement parce que mon numéro d’appel figurait dans l’annuaire ?
    
    Je ne l’ai jamais su, mais toujours est-il qu’à cette époque, j’avais plusieurs fois envisagé de me passer de ligne téléphonique.
    
    Ces gens avaient pris l’habitude de sonner en début de soirée, soit pour me proposer un rendez-vous chez moi pour une démonstration à la noix, soit pour m’inviter à leur rendre visite dans leur magasin tout proche. Généralement, je les envoyais paître avec la même courtoisie de façade qu’ils utilisaient pour m’importuner.
    
    De toute manière, les personnes à la voix suave qui m’appelaient par mon nom et disaient se prénommer Brigitte, Caroline, Étienne ou Jean-François faisaient leur boulot comme n’importe qui d’autre, et je n’avais pas à leur en vouloir spécialement, ni à me montrer désagréable avec elles. Un refus ferme et poli, voilà ce que j’avais coutume d’opposer à leur boniment appris par cœur.
    
    Parfois, avec Lucie, nous acceptions, contre promesse de remise d’un cadeau, de faire un saut jusqu’à l’une ou l’autre boutique, où nous retirions ledit cadeau sans dépenser un euro, puisqu’on nous l’offrait sans obligation d’achat. Bien sûr, le « magnifique service à déjeuner dix-huit pièces » avait tout de la dînette, et « ...
    ... l’indispensable fer à repasser » rendait l’âme après à peine une demi-heure de vaillant service, mais ça faisait partie du jeu, et nous ne nous en plaignions pas.
    
    Les plus enquiquinants étaient sans conteste les marchands de salons de cuir. Ces rapaces, après vous avoir arraché la promesse d’une visite dans leur show room, vous faisaient parvenir un courrier stipulant qu’ils attendaient votre arrivée avec impatience pour se faire un plaisir de vous offrir sans engagement d’achat, contre remise de la lettre et à la condition expresse de venir en couple, le meeeerveilleux gadget dont vous ne pourriez désormais plus vous passer.
    
    Puis est venue l’époque où je me suis mis à les envoyer promener avec beaucoup moins de délicatesse, parce que je vivais seul depuis que Lucie était retournée chez sa mère et que j’en avais vraiment marre de tout ça.
    
    Parfois, les soirs de cynisme, j’avais envie d’accepter l’entrevue pour ne leur asséner mon refus poli qu’une fois terminée la démonstration et épuisés tous leurs arguments, et cela rien que pour les emmerder en leur faisant perdre leur temps ; mais je me rendais compte que par la même occasion, je gaspillerais le mien, alors je m’en abstenais et je disais non directement.
    
    Et puis, un lundi soir, j’ai cédé. Était-ce la voix de la demoiselle au téléphone ? L’effet des deux ballons de rouge que je venais de m’envoyer derrière la cravate en guise d’apéritif ? Le fait que je commençais à me sentir seul après six bons mois de célibat ? L’ambiance ...
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