1. L'au-delà


    Datte: 26/05/2018, Catégories: forêt, campagne, jardin, voyage, nonéro, mélo, Auteur: Musea, Source: Revebebe

    ... porte de la cave et l’hiver s’était chargé de les déloger.
    
    Mais on voyait encore un reste d’alvéoles grises contre les feuilles de vigne, preuve ultime d’amour. Et il y avait toujours son nom sur la boîte à lettres.
    
    De grandes marguerites jaunes bordent la maison, entremêlées de millepertuis, qui colonisent peu à peu toute la montée.
    
    Ceux-là m’ont accompagnée toute l’année, entretenu et cultivé mon espoir d’être ici. Compagnons d’attente, témoins de ma promesse muette.
    
    Je regardais au bas de mon immeuble leurs feuilles s’affadir, se dissimuler sous l’aubépine, puis sous la neige, pour ensuite émerger à nouveau, fidèles et complices.
    
    Les boutons jaunes grossissaient au printemps lorsqu’avril en traître emporta mes espoirs, brisant la vie d’un coup sec…
    
    Les millepertuis pouvaient fleurir, offrir leur nectar apaisant aux bourdons se lovant dans leurs corolles.
    
    Mon père de cœur n’était plus là pour m’accueillir près d’eux.
    
    Alors qu’importaient les fleurs… Je ne pouvais plus les regarder sans les larmes et la rage, le cœur en déroute.
    
    Et pourtant, j’étais de retour et je les contemplais, presque étonnée de mon audace en même temps qu’heureuse.
    
    Heureuse de défier la camarde tel le brin d’herbe poussant malgré le bitume, entêté de vivre.
    
    Heureuse de leur dire que je ne m’étais pas tout à fait résignée.
    
    Que mon cœur avait pris le relais perdu par leur propriétaire pour insuffler l’énergie à ces lieux.
    
    Pour les raconter, pour les faire ...
    ... vivre, leur donner d’autres printemps.
    
    Déjà je partageais ce paradis, j’ouvrais les portes les plus secrètes à son ami, je remettais de la vie là où la mort voulait régner en maître.
    
    La camarde est une chose tellement inexorable que certains gravent des cœurs sur les arbres, inventent des tas de choses pour l’éloigner, la repousser hors champ, hors cadre. À moi il suffisait d’être là. Là où je devais être.
    
    Personne ne m’attendait que l’invisible, la nature en friche et la maison.
    
    Vision désolée et dérisoire, misérable, auraient dit les grincheux.
    
    Pourtant je me régalais du soleil, des volets ouverts, du rosier fleurissant, du cassis en devenir malgré les hautes herbes. Parce que je sentais cette présence aimante envelopper le paysage et me murmurer l’indicible.
    
    Parce qu’il était là malgré tout avec moi, et que la camarde n’y pouvait rien.
    
    La vue était toujours aussi belle. L’odeur, celle des toujours, emplissait mes narines. J’attrapais confusément tout ce que je pouvais serrer contre mon cœur, enfouir dans ma mémoire : l’arrondi des prés en contrebas, les noyers, les sapins, et au loin le Forez, rempart de force et de courage dans l’azur.
    
    Un soupir immense délivré de l’attente, de la peur, monte de moi, bulle irisée rejoignant les cieux. Je me tourne vers l’ami découvrant les lieux. Je le vois étourdi d’air pur, grisé de ces mille et une petites choses insignifiantes et magnifiques qui font du soleil pour les jours gris. Comme moi il remplit sa besace. ...
«1...345...»