1. L'au-delà


    Datte: 26/05/2018, Catégories: forêt, campagne, jardin, voyage, nonéro, mélo, Auteur: Musea, Source: Revebebe

    ... répètent et les tourterelles le chantent au bord du chemin.
    
    Nous traversons le bois, croisons les bûcherons qui terminent l’abattage d’une parcelle.
    
    L’air sent bon le foin coupé, les fleurs et la sciure fraîche.
    
    Je pense à ces bûches que j’ai montées pour lui l’an dernier, que j’ai alignées consciencieusement au mur de la cuisine, pendant toute une matinée et une après-midi. Je vois encore son regard bleu étonné de ce cadeau, cet amour immense qui déborde de partout et qui réchauffe mieux que la flambée de la cheminée. Des larmes montent avec le souvenir : son absence physique, cruelle et définitive me tord le ventre et le cœur.
    
    Une main secourable et amie s’est posée sur la mienne :
    
    — Ça va ?
    
    Je hoche la tête sans répondre.
    
    Il comprend, ébouriffe mes cheveux comme lui l’aurait fait.
    
    Je vois la petite pancarte blanche se profiler sur le talus.
    
    — Tourne au virage à droite, là !
    
    Il s’exécute, rentre les épaules, laisse l’émotion prendre toute la place. Il sait qu’à ce moment précis, je suis seule. Seule avec l’ombre de l’homme qui fut tellement le père que je n’ai pas eu, seule avec les souvenirs, la terre et tout ce qu’elle garde pour moi de vérité.
    
    Il reconnaît la voix des choses, respecte le moment.
    
    La ruelle du hameau est toujours aussi tortueuse. Le père Freygnial a oublié de cueillir ses tomates.
    
    Et tout au bout, près de la croix, blanche, brune et rose, elle m’attend.
    
    La voiture est encore devant la porte. Comme s’il était là. ...
    ... Et la lumière qui jaillit de l’arrière, c’est l’étoile de Noël que je lui avais peinte. « Mon porte-bonheur ! » aimait-il à répéter. Elle brille toujours, comme animée d’une vie propre.
    
    C’est son signe de bienvenue, et un autre encore que ses chaussures devant le seuil. Et, dernier cadeau, les volets sont restés grands ouverts.
    
    « Je serai toujours là pour toi ! » se plaisait-il à me répéter.
    
    Il était là. La porte seule était fermée. Elle me rappelait que nous étions séparés.
    
    Qu’il faudrait encore du temps avant de nous revoir. Mais qu’il serait là à m’attendre, là pour m’accueillir. Comme il le faisait aujourd’hui.
    
    Il stoppe derrière la maison. Là où je lui ai dit d’aller.
    
    Il attrape l’appareil photo sur la plage arrière et se laisse guider.
    
    Je descends, le visage tourné vers la fenêtre de la cuisine. Je sens l’odeur de la maison : l’humide et le bois fumé.
    
    Je suis sûre qu’il y a encore une boîte de cigares vanillés sur la table de chêne. Le petit renne est toujours accroché à la porte du placard.
    
    Je contemple incrédule la tranche acidulée que j’avais collé l’été dernier sur le coin de la vitre afin de repousser les mouches.
    
    Et j’entends encore sa voix, un peu chagrine :
    
    « Mais pourquoi tu veux tuer ces bestioles ? Elles ne te font pas de mal. Faut bien qu’elles se nourrissent. Si elles se plaisent ici, laisse-les. On les chasse tellement ailleurs. Même les vaches les embêtent… »
    
    Il avait aussi laissé le nid de guêpes dans l’encoignure de la ...
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