1. L'au-delà


    Datte: 26/05/2018, Catégories: forêt, campagne, jardin, voyage, nonéro, mélo, Auteur: Musea, Source: Revebebe

    ... riches. Avec étonnement, totalement désarçonnés.
    
    Ce miracle m’est arrivé plusieurs fois dans ma vie.
    
    Et à chaque fois ce vertige, cette sorte de conscience, au-delà de la conscience…
    
    Cette force étrange, magique, semble sourdre de très loin.
    
    Elle est la voix des anciens, le réceptacle des souvenirs qu’on porte sans pourtant les connaître, elle plonge loin en nous, dans un ailleurs, un au-delà que nous n’entrevoyons qu’à ces rares instants. Prise directe avec le ciel et les anges. Compréhension immédiate des choses, du temps et des êtres. Du moment aussi.
    
    Sans doute la raison pour laquelle je lui accorde un prix inestimable. Parce que cette émotion brute me relie à mon histoire, à mes ancêtres, à ce que je suis au plus intime, ce que j’étais, ce que je serai.
    
    J’y éprouve l’enfant, l’adolescente, la femme en une seule âme, attentive à recevoir, réconciliée.
    
    C’est pour retrouver cet émoi de l’au-delà des choses que je lui ai demandé de m’amener là-haut. De me conduire là où chante la source. Où poussent millepertuis, framboises sauvages et myrtilles, où s’épanouissent les digitales.
    
    Une urgence folle alors qu’il n’y en avait plus, me prenait le cœur, le corps. Mes pieds s’agitaient dans la voiture, impatients de gagner les hauteurs.
    
    Je regardais la Limagne s’étager de collines ornementées, de tours de guet, puis de sapins. Les routes nationales se changeaient en départementales, puis de plus en plus étroites se faisaient presque chemins ...
    ... vicinaux.
    
    Je lui ai dit :
    
    — Nous approchons. Je sens la résine, la fraîcheur de la forêt… Regarde, un écureuil !
    
    Il a souri avec indulgence. Il ne connaît pas cet aspect du pays. Cette sauvagerie le surprend à revers de lui-même, pourtant chasseur, épris de belle nature et d’émotions fortes.
    
    C’est une autre Auvergne, celle des contes et des légendes. Je le débarque au pays des gobelins et des sorcières, des fées, bonnes ou méchantes. Ce n’est plus l’homme qui décide, c’est la montagne.
    
    Sitôt franchie la Dore, les loups ne sont plus loin, fredonnait Murat.
    
    C’est vrai. Même si l’on ne les entend plus que dans sa tête, tout peut arriver ici. Les pierres, les animaux, les arbres, les plantes vous parlent, parce qu’ils ne sont pas domestiqués. Parce qu’il suffit de tendre l’oreille pour les comprendre, c’en devient, tellement c’est fort, intimidant.
    
    — C’est presque une retraite monacale, par ici !
    
    Il a dit ça d’une voix tonitruante, pour briser le silence en essayant de rire. Maladroitement. Un rire qui se moque de lui-même, de ce que je suis en train de lui faire faire, de ce voyage insensé.
    
    Nous nous regardons un bref instant en souriant. Je le sens aussi ému que moi, peut-être plus. C’est lui qui conduit et pourtant c’est moi qui l’emmène dans mon univers.
    
    Et ce n’est plus chez lui, c’est presque chez moi.
    
    Dans la grande montée, je sens déjà la maison sourire. Elle sait. Le paysage sait. Je suis revenue. Les sapins le disent, les cloches des églises le ...
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