1. Souvenirs de plumes


    Datte: 20/05/2018, Catégories: fplusag, profélève, école, exercice, nostalgie, Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe

    ... l’usage de la pointe Bic. Une dernière péripétie qui m’advint quelques années plus tard devrait vous convaincre des raisons de cet inéluctable attachement.
    
    Je terminais alors mes études à Strasbourg et logeais dans un petit studio coquet et confortable aménagé dans des combles non loin de la cathédrale. Ma logeuse, accorte veuve approchant la quarantaine, qui avait perdu son mari dans un accident de la route me faisait fantasmer bien plus que les midinettes qui peuplaient les bancs de la fac. C’était une blonde, un peu fluette, merveilleusement proportionnée, affichant des rondeurs exquises là où je les souhaitais. En dépit de mes convoitises, son âge respectable, son air sévère qu’accentuait une indéfectible tristesse, ne m’invitaient pas à la courtiser. Face à elle, une immanquable timidité, qui n’était en rien ma qualité majeure, m’envahissait et je ne me risquais guère qu’à la couver de la fièvre de mon regard. On devine d’autre part aisément les rapports qui peuvent unir un jeune étudiant plutôt fêtard et dépensier à une veuve austère plutôt économe. J’avais ainsi trois mois d’arriérés auprès de ma propriétaire que je m’efforçais d’éviter, ce qui ne présentait pas trop de difficulté, vu qu’elle résidait dans un autre immeuble. Après déjà plusieurs mots de relance que j’avais impudemment ignorés, je rentrai chez moi un soir et la trouvai campant à ma porte.
    
    — Puis-je entrer, me demanda-t-elle sur un ton courroucé, qui résonna à mes oreilles comme un avis de ...
    ... tempête.
    
    J’aurais été enchanté de l’accueillir, surtout que j’avais rangé la veille, pour tout autre motif que celui que je devinais l’amener. À peine fûmes-nous enfermés que je me hâtai de désamorcer son irritation supposée en déclarant :
    
    — J’allais précisément ce soir émettre et envoyer un chèque à votre ordre.
    
    Je la conviai à s’asseoir face à moi en la reluquant effrontément pour me donner une contenance et lui laisser entendre qu’en rien, je ne me sentais coupable. Je m’emparai de ma plus belle plume, à cette époque un stylo à encrePélikan pour établir un chèque… en bois. Grand prince et sans vergogne, je lui demandai s’il convenait d’y ajouter le loyer du mois suivant. Et voilà que l’instrument, sans doute prévenant de mes intentions frauduleuses, refusa tout usage et se borna à griffer le papier sans y déposer d’autre marque. Très agacé, j’en démontai le corps pour constater que son réservoir était correctement rempli à l’encontre de ce que je présumais. Je tentai alors d’effectuer une légère pression qui resta sans effet sur la pompe. Excédé, j’appuyai plus fort et l’encre gicla… sur le chemisier blanc de la jeune femme dessinant une tâche mauve en forme de cœur à l’emplacement du sien. Bien qu’utilisant de l’encre parfumée pour femme (eh oui, cela a bien existé), je redoutai que ce détail ne suffise pas à calmer ses ressentiments. Sans lui laisser le temps de donner libre cours à son animosité, je lui proposai d’ajouter le prix de son chemisier au montant des loyers. ...
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