Le cavalier de l'Empereur
Datte: 05/05/2018,
Catégories:
fh,
fbi,
hplusag,
uniforme,
campagne,
voyage,
amour,
Oral
aventure,
historiqu,
Auteur: Margeride, Source: Revebebe
... entendre des histoires d’anciens combattants que vous êtes là.
— Parlez-moi de lui.
— Qu’est-ce que je peux te dire du commandant… Tiens, je te tutoie, après tout tu connais Prévert : « Je dis tu, à tous ceux que j’aime, je dis tu à tous ceux qui s’aiment… » Il sourit. Tu vois, je suis un vieux soldat. J’ai commencé, ça va te paraître bien loin, en 60, c’était encore la guerre d’Algérie. Tout le monde savait que c’était foutu, tout le monde sauf nous. L’Algérie Française, on nous avait enfoncé ça dans la tête, foutaises, tout ça… Nos officiers avaient fait l’Indo, ils en avaient marre de perdre. Cette guerre-là ils voulaient la gagner, ils étaient sûrs qu’ils la gagneraient. Ils se l’étaient promis, promis à eux-mêmes. C’est quelque chose, une promesse qu’on se fait à soi-même, pas possible de biaiser, de trouver de fausses excuses.
Alors, quand ils ont compris que cette promesse ils la tiendraient jamais, les meilleurs se sont fait tuer ou se sont révoltés et puis les autres, eh bien, ils avaient une carrière, une famille, des traites à payer… Il y a eu le putsch. J’étais tout jeune légionnaire et j’y serais allé comme les autres, on voulait tout foutre en l’air. C’est le commandant Cabiro, le patron de mon régiment, le 2° REP, qui m’a évité cette connerie. Il m’a expédié en permission : « On ne discute pas Oudinot, c’est un ordre !… » Je pense qu’il trouvait que j’étais trop jeune pour la taule, il devait le savoir que c’était une connerie, une connerie héroïque, ...
... mais une connerie quand même. Tu sais, j’avais pas encore tout à fait 18 ans, j’avais triché pour m’engager. C’est en débarquant à Marseille que j’ai appris que l’armée s’était révoltée en Algérie. C’était un bordel ! Des CRS partout, les cocos, les syndicats, tous pensaient que les paras allaient renverser le gouvernement.
Et puis de Gaulle à la radio, la statue du Commandeur et tout est rentré dans l’ordre. De Gaulle, ce que j’ai pu le haïr à l’époque ! Mais maintenant je sais qu’il avait raison, je me suis calmé tu vois… Alors pourquoi je te raconte ça ? Bon, le commandant, il a pas connu tout ce merdier, trop jeune, il fait partie de ceux qui sont arrivés après, l’armée moderne. Mais tu vois, les officiers de sa génération, on les a vu se pointer tout proprets, bien instruits, plus à l’aise dans une conférence que dans la boue. Ils venaient là pour faire carrière, comme ils auraient été à la SNCF ou dans une banque. Mais pas lui. Lui, il était différent, il venait poursuivre un rêve. La première fois où je l’ai vu, tu sais ce que je me suis dit ? Eh bien, je me suis dit « Oh putain le con » !
Charlotte étouffa un rire.
— C’était la fois avec le Russe, ou je sais plus trop quoi, à Djibouti ?
— Oui, c’est ça. Il t’a raconté ? Je passais en jeep dans une rue du port, je craignais pas de m’arrêter tout seul, pas fou ! Et qu’est-ce que je vois ? Un grand escogriffe superbe, l’uniforme blanc, les médailles, il lui manquait que le sabre, qui entre dans un rade immonde, ...