1. Véronique


    Datte: 10/01/2021, Auteur: Patrik, Source: Revebebe

    Véronique, c’est mon prénom, dis-moi le tien et garde-le. Oui, je sais bien ce que les hommes veulent de moi. C’est ma vie depuis si longtemps, depuis si antan, que je ne sais plus de quand et d’où je suis.
    
    Sans passé, sans avenir, abandonnée à six mois, traînée d’institutions en foyers, sans amour, sans tendresse, que des ordres, que des règlements. J’ai longtemps été un simple numéro : 33. Pas même un nom ou un prénom, un simple numéro, un nombre de docteur qui vous arrache la gorge : trente-trois, rauque, rêche comme ma voix maintenant.
    
    J’ai cru rencontrer le bonheur, lors de mes dix-huit ans, sous les traits d’un homme fringant, fraîchement séparé, de dix ans mon aîné, sûr de lui, plein de certitudes et de belles phrases, d’avenir. Oh oui, il allait tout m’apprendre, il allait me donner enfin un prénom, voire même un nom, peut-être un nouveau nom, d’autres prénoms, mes enfants, que je chérirais afin qu’ils n’aient pas la morne vie de ma jeunesse gâchée.
    
    Il ne m’a apporté que vingt ans de douleur, espoir cassé, de vie entre deux eaux après deux ans de bonheur, enfin, ce que je croyais être du bonheur. Mais c’était déjà mieux que rien.
    
    J’aurais pu le quitter avant, j’aurais dû le quitter avant. Oui, c’est vrai. Mais pour aller où ? Pas de parents, pas de frère, pas de sœur, pas d’amis, que mes deux enfants. Ni travail non plus. Cet homme m’installait dans une bulle fermée, close à tout extérieur. Mes seuls compagnons étaient des livres chinés ci et là. Les ...
    ... murs d’une vieille maison lépreuse, les parquets rances, les plafonds défraîchis et jaunâtres. Pas de jardin, une cour en pavés glissants, laide, sombre aux relents d’alcool et de vomis. Non, je ne suis pas une Cosette, juste Véronique, et c’est de nos jours que ça se passe et que ça se passera encore et toujours. Depuis que le monde est monde, c’est ainsi et il en sera toujours ainsi.
    
    J’ai cru que c’était ainsi qu’était la vraie vie, celle de tous les jours, pas celle des téléfilms ou des collections Harlequin. J’étais amoureuse, enfin, je le croyais, il m’avait sortie de l’orphelinat. Oui au début, il était bien, beau, si magnifique, si étonnant, si gentil, surtout quant on a connu que de la misère affective. Mais que peuvent comprendre les messieurs et les dames bien nantis, enrobés de leur suffisance et de leurs certitudes ?
    
    — Vous êtes sûre de ce que vous me dites là ?
    — Bien sûr que je suis sûre !
    
    Parfois, ça zèbre dans ma tête. Des idées puis d’autres. Des impressions, des images, je m’invente un monde de réconfort. Parfois les doutes sont là : suis-je moi-même ? Mes repères sont sans amour, je ne sais même pas ce que c’est. Ah ça, le sexe, je connais : écarter ses cuisses pour que l’homme vienne s’y mettre, je connais. Les mots d’amour, les caresses, les préliminaires ? Une futilité d’écrivaillon, perdu dans un autre monde que le mien, le nôtre.
    
    Non, je n’ai plus ma tête à moi et je chante « Stoned again ».
    
    Il y a des gens qui viennent à moi sans que je ...
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