Le disque de Ruellan - Histoires de Sexe

Le disque de Ruellan

... rapidement renversé par la foule pressée d’embaucher, écrasé sous les pieds d’anonymes aux regards vides et apeurés.

— Merde, j’ai mal, aidez-moi ! parvient-il à sangloter.

Le coquillage rouge au-dessus du système d’arrêt d’urgence – cassé – le rappelle à l’ordre :

— Premier avertissement du jour, Monsieur Dulac ; amende de 20 euros. Article R403 du Code de procédure pénale et du respect des libertés et des consciences : grossièretés et vulgarités sont interdites. Passez une bonne journée.

J’évite soigneusement d’effleurer le corps du malheureux ; je détourne tout de même le regard. J’ai honte. Je suis flic dans ce monde pourri.

— Ah, agent Finster, le patron veut te voir. Il a l’air en pétard.
— Merci, lieutenant ; une idée de ce que j’ai fait cette fois-ci ?

Le lieutenant Rambert n’en sait évidemment rien. Il sait jamais rien, de toute façon. Mais on l’aime bien quand même dans la brigade. Rapport à sa mère sans doute qui fait les meilleursdonuts du monde et qu’il partage avec nous tous les matins.

Je passe devant les cages de dégrisement, à moitié vides aujourd’hui ; on a plutôt tiré dans le tas pour sauver notre peau. Les interpellations de Souffleurs, ce sera pour une autre fois, ou pas. Pas de regret : c’était eux ou nous.

J’entre dans le bureau du chef.

— Chef ? Rambert m’a dit que vous vouliez me voir.
— Oui, Finster, merci pour votre rapport. Les balles seront décomptées de votre salaire, bien sûr ; mais comme vous aurez une médaille, ...

... ça compense et ça récompense.

Ah, le chef Petit-Colin, un monument d’humour et de jeux de mots, selon sa propre définition.

— Ah-ah ! Merci, chef. Mais c’est pas tout, n’est-ce pas ?

Petit-Colin n’est pas à l’aise, pas à l’aise du tout. En tout cas, c’est pas moi qui ai merdé, c’est déjà ça. Pendant qu’il prend sa respiration, j’observe son bureau, le meilleur de la brigade. Un vieil ordi qui marche sur dynamo, un bureau couvert de poussière et de graisse, les peintures vert-pisseux qui s’écaillent sur le noir de la moisissure. Une fenêtre qui ferme et un plafond qui fuit pas trop l’hiver. Un putain de privilégié, je vous le dis.

— Claire…

« Putain, s’il m’appelle par mon prénom, c’est vraiment la merde. »

— Chef, allez-y ; on se connaît depuis dix ans maintenant, vous savez que vous pouvez me faire confiance.
— Oui, dix ans ; et vous êtes une sacrée agente, Claire. La meilleure du GCJ, je dirais. Pour ce que ça vaut maintenant…

Le coquillage rouge au-dessus de la porte le rappelle à l’ordre :

— Monsieur Petit-Colin, premier avertissement du jour ; amende de 5 euros. Article R876 du Code de procédure pénale et du respect des libertés et des consciences : les agents dépositaires de la force publique doivent en toute circonstance exprimer leur confiance dans les institutions. Vos propos négatifs ont été consignés. Vous disposez d’un droit de regard et de rectification conformément à l’article…

Le chef lève les yeux au ciel, je souffle ; on laisse la ...