Le disque de Ruellan
Datte: 06/12/2020,
Catégories:
sf,
Auteur: Claire Obscure, Source: Revebebe
Je traverse le quartier, mon arme soigneusement cachée, mais toujours à portée de main. Deux chats se battent au loin ; leurs miaulements finissent par attirer l’attention d’un groupe de junkies défoncés à la Soufflette.« Mieux vaut les chats que moi. » Je ne cours pas.« Ne pas attirer l’attention plus que de raison. Putain, que cette rue est glauque, comme la suivante, comme toutes celles de la ville. » Les ordures s’entassent ; il n’y a même plus de chiens pour s’amuser avec, et les rats se font tout petits une fois le soleil levé.
Un bébé pleure dans l’immeuble ouvert aux quatre vents ; sa mère le somme de se taire. Trop tard. Une torgnole ramènera la femme à sa juste place ; elle n’avait pas fait le nécessaire à temps.« Monde de merde… »
Quatre gosses me regardent, assis sur le capot d’une voiture désossée. Huit ans, dix ans peut-être ; avec la malnutrition, il est difficile de leur donner un âge. Je change de trottoir. S’ils ont trop faim, je jetterai les quelques biscuits secs qui me restent de la ration d’hier. J’aurai dû partir plus tôt, mais la planque d’hier a duré jusqu’à deux heures du mat’, j’étais crevée. Deux des gosses se lèvent ; ils saisissent des barres de fer.« Deux, je peux me les faire. » Ils attaquent.« Tant pis pour eux ! » Le premier frappe de haut en bas ; j’esquive sur la droite et me rapproche du second. J’anticipe le coup latéral qui vient cogner la mâchoire de son pote. D’un coup de pied dans les roubignoles, je me débarrasse du dernier ...
... gamin debout. Je fixe les deux autres restés sur la voiture ; d’un geste du menton, je les invite à se casser ou à venir me chercher des noises. Ils détournent le regard, nullement intéressés pour aider leurs camarades à terre.
Avec leurs conneries, je vais rater le métro du matin. Je pique un sprint : je vais attirer encore plus l’attention, mais je ne me vois pas faire cinq kilomètres à pied de plus. Les odeurs se font plus fortes à proximité de la station ; humanité délabrée cherchant encore le contact avec ses semblables, tambouille immonde du petit déj’ « rat - choux » préparé à même les braseros de la nuit. 200 euros la part, qui n’en veut ?
Ouais, enfin, dans la sécurité relative de la station, je me fonds dans la foule hébétée. Moitié travailleurs pauvres, moitié clochards. Je joue des coudes, des genoux aussi pour me faire une place dans la rame. Les portes se ferment dans un crissement de métal. Un hurlement : un type vient de se faire écraser la main. Il regarde le lapin crétin sur l’autocollant délavé l’avertir un peu trop tard qu’il risque de se faire pincer très fort. Il pleure en silence, sa main toujours coincée entre les deux portes. Il ne pourra pas travailler aujourd’hui s’il a de la chance, plus longtemps s’il y perd ses doigts. Pas de bouffe, pas de sécu : la mort assurée ou presque pour les inaptes et les « assistés ».
Station suivante. Les portes s’ouvrent, le type s’écroule de douleur quand ses doigts sont libérés des mâchoires d’acier ; il est ...