1. Rhapsody in blue - Fin


    Datte: 17/10/2020, Catégories: fh, nonéro, regrets, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... lorsque l’on est conscient des menottes qui nous lient depuis le moment où nous avons voulu nous en libérer.
    
    Faire comme si, faire semblant. On a la vie devant nous, on a le temps ; mais au final, on n’a rien, le sais-tu ?
    
    Le temps ne nous appartient pas. On finit toujours pas le comprendre, un jour ou l’autre.
    
    Tu m’as emmenée à la gare, nous avons plaisanté sur le chemin. Nous y sommes allés à pied, pour profiter ensemble, une dernière fois, du crépuscule qui inonde Genève d’une couverture de nuit et de lumières. À la gare, j’ai appelé ma tante pour la prévenir de mon départ.
    
    Puis nous avons pris place dans la file d’attente devant la douane. Nous avons attendu ensemble. Nous n’avons plus parlé, cette fois. Puis à un moment donné, la queue s’évanouissant dans le couloir jaune hideux, tu m’as serrée dans tes bras, vite et avec une certaine maladresse, avant de m’embrasser sur le coin de la bouche. Ton regard a évité de croiser le mien.
    
    Ce baiser ne se situait ni sur la joue, ni sur la bouche, mais quelque part entre les deux. À la commissure des lèvres.
    
    C’est ainsi que ce baiser résume bien la nature de notre relation. Balbutiante et imprécise. Une histoire sans tambours ni trompettes, pas vraiment une romance, pas vraiment une amitié. Quelque chose entre les deux, que nous avons apprécié à la fois avec plaisir, mais aussi avec gêne. Sommes-nous amants, amis ? Quelle importance ? Il n’y en a plus. Peut-être ne te reverrai-je plus jamais. Peut-être que cela ...
    ... me manquera.
    
    Après le baiser mi-affectueux, mi-amoureux, tu m’as offert un sourire heureux auquel ni l’un ni l’autre n’avons cru. Tu m’as souhaité un bon retour, as ajouté quelques petites choses aimables à la surface lisse et sans véritable contenu – que je n’ai pas trop écoutées.
    
    Puis tu es parti.
    
    Mes yeux ne t’ont pas regardé partir, t’éloigner de moi, disparaître de ma vue, de ma vie.
    
    Juste avant de passer la douane, je les ai peut-être eus, ces regrets aussi vastes que le monde, et je me suis retournée une dernière fois, le cœur lourd. Mais tu n’étais plus là. D’ailleurs, tu n’auras jamais été vraiment là. Tu seras resté un fantôme, toi aussi, dont je chéris et déteste le souvenir.
    
    Peut-être t’ai-je cherché des yeux, toute pleine de cette subite envie que j’avais de courir te rejoindre, te serrer dans mes bras, et t’embrasser une dernière fois ; sur les lèvres, avec tout l’amour, et tout le désir, dont je suis capable.
    
    Mais j’ai vite effacé cette pensée absurde.
    
    Prendre le train. Se laisser aller au roulement régulier qui me berce. Regarder les montagnes, les pics enneigés, deviner dans l’obscurité les vaches indolentes pendues à leurs cloches dorées, l’herbe verte et lumineuse.
    
    Puis les maisons, les poteaux télégraphiques, les fabriques sales et laides. La frontière. La France.
    
    Sans doute, tu m’écriras. Tu penseras à moi quelque temps, puis tes messages se feront plus rares. Je penserai à ton anniversaire, tu oublieras le mien. Je t’enverrai ...