1. Rhapsody in blue - Fin


    Datte: 17/10/2020, Catégories: fh, nonéro, regrets, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... plénitude de nos sens sur un air de musique, il y a pourtant une masse de gens autour de nous, au corps absent bien sûr, mais si vivants par notre intermédiaire, dans nos pensées, dans nos chairs.
    
    Peut-être ne pouvons-nous pas les voir, mais ils sont là, ces fantômes qui nous suivent comme des ombres. Nous pouvons les sentir, parfois ; nous les sentons évoluer autour de nous, respirer, penser, nous les sentons nous toucher ; ils sont invisibles, mais possèdent néanmoins cette matière impalpable de ceux qui ont irrémédiablement marqué notre cœur d’une empreinte insaisissable. C’est du coeur qu’ils prennent forme.
    
    Pas un seul instant, je n’ai été seule avec toi. Comment peut-on se sentir si seul, alors que nous sommes environnés d’une peuplade de revenants qui nous collent aux basques ? Il y al’autre, les autres, il y en a tellement, elles font battre ton cœur, ces présences anonymes et insupportables. Elles m’ont oppressée pendant des jours.
    
    Sans doute ressens-tu la même chose en me regardant. Il y a eu les amis que j’ai eus et que j’ai perdus, les amants qui ont croisé mon chemin, les amours qui m’ont étreinte, et il y aelles, toutes ces filles qui auraient pu ne pas te connaître ou trop bien t’apprendre, toutes celles que j’aurais pu être ou devenir, faisant en sorte que je ne sois pas là, à cette minute même, allongée et nue sur un lit trop grand pour moi, la peau rougie et les cheveux ébouriffés, avec ce vide à l’intérieur qui m’aurait fait crever à petit feu ...
    ... si je n’étais pas venue à Genève.
    
    Si je ne m’étais pas sentie renaître entre tes bras, ces bras mêmes où je me suis sentie disparaître, il y a trois ans. Il y a des siècles.
    
    L’autre jour, dans le tramway, comme par jeu, j’ai posé une main légère sur ta cuisse, et l’ai caressée. Mais quand j’ai levé les yeux, un sourire taquin aux lèvres, j’ai vu ton regard braqué sur ta cuisse. C’était un regard distant, réfrigérant, totalement méprisant. Ma main s’est raidie, je l’ai laissée là quelques secondes, pour que tu ne t’aperçoives pas que j’avais deviné ton avertissement, puis je l’ai enlevée.
    
    Une fois mon chagrin à peu près maîtrisé, j’ai risqué un nouveau regard vers toi. Tu m’as regardée, l’air de rien, et dans ces yeux-là, j’ai compris ma place. La case où toi tu m’avais emboîtée. Précisément, il n’y avait pas de boîte assez petite pour me caser.
    
    Il y a des regards où on se sent chez soi, où on retrouve chez l’autre, dans la manière qu’il a de vous dévisager, ce qu’on reconnaît proprement en soi ; il y a des regards amis où on se connaît, se reconnaît, où on se sent être. Mais c’est assez rare, finalement. Oui, le regard, c’est comme un lieu. On peut avoir l’impression d’être dans un grand magasin, dans un hôtel, chez soi, on peut même y retomber en enfance. Passer par là, regarder mais ne rien acheter ; partager un grand lit où on prête son corps mais où on repart les mains vides ; ou bien être soi là où on est, se sentir exactement à sa place.
    
    Mais il y a des ...
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