1. Les moches sont les pires des salopes


    Datte: 11/10/2020, Catégories: fh, couleurs, complexe, laid(e)s, ffontaine, Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe

    ... m’emportèrent son brutal tutoiement, l’évocation de deux secrets, son intérêt pour mon travail et le mystère de sa vie privée, sans compter l’énigme du talisman. Toutes ces réflexions allaient non seulement m’impatienter et m’occuper d’elle, mais conjointement lui ménager une place toujours plus envahissante dans mon esprit et mes sentiments qui étaient, il m’en fallait convenir, très proches des siens.
    
    Nous nous heurtâmes quasiment au seuil de la brasserie un bon quart d’heure avant l’heure de notre rendez-vous et je l’embrassai pour la première fois chaleureusement sur les deux joues. À peine installés devant notre repas, je la transperçai du regard pour lui confesser :
    
    — Amalia, pendant toute cette semaine je m’en suis voulu de t’avoir laissée filer sans répondre à ta dernière déclaration. Tu ne m’avais cependant pas quitté depuis plus de dix minutes qu’il était clair en ma tête que je partageais absolument tes dispositions. Ta propre parole a été le révélateur de mes intuitions à ma conscience.
    
    Elle s’empourpra et répondit :
    
    — Dix minutes ! s’exclama-t-elle. Tu as été bien long ! Tu ne saurais pourtant imaginer combien je suis heureuse que tu ne m’aies pas répondu il y a huit jours. Tu m’aurais alors affirmé éprouver simplement les prémices d’une flamme que je n’aurais pas pu te croire. Maintenant tu me fais une réponse longuement mûrie, qui n’est pas de circonstance et résonne d’un profond accent de vérité. Je redoute néanmoins que tu ne te laisses emporter ...
    ... par quelque dangereuse pitié. Qu’ai-je en effet pour te séduire ? Je suis moche, grosse, malade et m’épuise au travail.
    — Je t’arrête : tu as de l’intelligence, de la culture, de la volonté, mais surtout un instinct juste et profond de la vie. Certes, tu n’es pas belle selon les canons des catalogues de mode ; néanmoins tu as une peau divine, une voix sensuelle et envoûtante, un galbe ensorcelant si on ne se laisse pas abrutir par les stéréotypes ambiants. Depuis que je t’ai rencontrée, tu as transformé ma conception de la beauté, et j’ai constaté que la laideur est souvent la part néfaste que nous portons en nous et projetons sur les choses et les êtres.
    — Oh, Loïc, j’aimerais tellement que tu me répètes ta précédente allégation autrement qu’avec des mots.
    
    Que fallait-il entendre ? Je baisai sa main que rapidement elle me retira, puis nous déjeunâmes précipitamment, en silence, n’échangeant que de brefs clins d’œil complices qui nous amenaient à pouffer de rire. Le repas terminé, nous nous hâtâmes de quitter la brasserie et je lui proposai de nous rendre chez moi, à deux pas, juste à l’opposé du parc pour y sceller effectivement mon propos. À ma surprise, elle ne fit aucune objection. André aurait-il eu pour une part raison ? Quand nous atteignîmes le milieu du parc qui accueillait un bassin circulaire, elle s’échappa et courut jusqu’à lui puis, en enjambant le rebord, s’y immergea jusqu’à mi-mollet. Là, en ce centre du monde, elle m’attendit radieuse, me tendant ses ...
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