1. SDF...


    Datte: 20/08/2020, Catégories: fh, hplusag, frousses, rousseurs, inconnu, jardin, collection, volupté, init, Auteur: Jeff, Source: Revebebe

    ... que j’avance, un tronc émerge du sac qui fait office de coquille de protection, puis se redresse. Sous le bonnet, je commence à distinguer une figure humaine encadrée de longs cheveux roux pendant en douilles qui semblent poisseuses. À mon approche, la forme se ratatine et se ramasse sur elle-même, hésitant entre fuir ou se couler dans les pierres de la voûte, comme pour faire corps avec elle et disparaître.
    
    Arrivé à moins de cinq mètres, j’hésite à continuer de peur de la faire fuir, car c’est une fille apeurée qui se replie sur elle-même en attendant de savoir qui elle va devoir affronter. Est-ce que je suis un flic ? Est-ce que je vais la tabasser ? Devant son désarroi, je laisse une distance de sécurité entre nous et, pour paraître encore moins agressif, je m’accroupis pour me trouver au niveau de son visage.
    
    — Salut!
    — Hum… me répond une voix rauque et peu assurée…
    — Je peux vous aider ?
    — B’soin de rien… tire-toi !
    
    La fille est farouche. La figure renfrognée, elle fixe le sol et surveille un point imaginaire, évitant ainsi de me regarder.
    
    Sa figure est pâle, tavelée de multiples taches de rousseur et zébrée sur la pommette saillante d’une longue estafilade encore fraîche. Les lèvres fines sont gercées et blanchies par le froid. C’est qu’elle a choisi le seul pont, me semble-t-il soudain, où tous les courants d’air de Paris se sont donné rendez-vous.
    
    Comme je ne dis rien d’autre (en fait je ne sais pas quoi dire) c’est elle qui rompt le silence :
    
    — ...
    ... Ben quoi ! Tu veux ma photo ?
    — Non… mais…
    — Mais quoi… t’es un flic ?
    — Ah ! Non…
    — Alors tire-toi…
    — Vous êtes sûre de ne rien vouloir ?
    — T’es sourdingue ! T’es lourd, mec… tire-toi…
    
    Face à cette hargne, je me relève en haussant les épaules et fais demi-tour. En remontant vers chez moi, une sorte de "mal-être" m’anime. Je ne cesse de penser à elle. Qui est-elle ? Qu’est-ce qui peut bien l’obliger à vivre là, sous ce pont, dans les courants d’air, emmitouflée dans son sac ?
    
    Mais la routine quotidienne reprend le dessus, jusqu’à ma sortie suivante. Mes pas, de façon hypnotique, me ramènent vers elle.
    
    Elle est toujours là, toujours coincée dans son sac, sous son pont, exposée aux courants d’air. À mon approche, elle lève simplement la tête, remonte légèrement le buste et ramène ses jambes sous elle.
    
    — Salut…
    — Salut…
    
    Chouette ! Aujourd’hui elle me répond.
    
    — Je peux faire quelque chose pour vous ?
    — Non…
    
    Au moins cela a le mérite d’être clair. Mais sa réponse m’inquiète pourtant. Depuis quelques jours les soirées et les nuits deviennent de plus en plus fraîches, pour ne pas dire froides. Il me semble alors que la place d’un être humain n’est pas, par de tels frimas, dans la rue. Je tente de lui expliquer et une fois encore elle m’envoie sur les roses.
    
    Après tout, chacun semble libre de faire ce qui lui plaît et, n’étant ni flic ni un travailleur social, je l’abandonne là, sous son pont et rebrousse chemin…
    
    En face de l’escalier qui me ramène ...
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