La Tour d'Ivoire
Datte: 02/08/2020,
Catégories:
nonéro,
policier,
Auteur: Lilas, Source: Revebebe
... servit, puis posa la cafetière sur la table, tout en la regardant d’un air fatigué. La jeune femme le fixa intensément.
— Mais peut-être que je vous dérange ? dit-elle alors, plus timidement. Je ne vous ai même pas posé la question.
— Pensez-vous, je pète la forme.
Cette fois, elle posa son bol, et eut une expression très embarrassée.
— Oui, je vous dérange.
Ce n’était plus une question, mais une confirmation.
Depuis l’arrivée de la jeune femme, ils avaient mangé les croissants dans un quasi silence, chacun se répandant en lamentables excuses pour leur attitude respective du dimanche. M. Tomaze avait été passer un pantalon et une chemise (il était en pyjama lorsqu’elle avait sonné) ; et Liana avait examiné la cuisine comme si elle était sûre d’y trouver un cadavre, planqué dans un coin. Ils avaient pris leur petit déjeuner dans une gêne presque palpable ; et maintenant, c’était encore pire.
— Je pensais que vous seriez plus accueillant que cela, ajouta-t-elle d’un ton de reproche. Vous ne travaillez donc jamais le matin ? Il est tard, non ?
M. Tomaze retint un soupir.
— Dites donc, veuillez me porter un peu plus de respect, ma petite. Vous n’avez pas à me parler sur ce ton.
— Qui s’en soucie ? fit-elle avec étonnement. Nous sommes seuls.
—Je m’en soucie, grogna-t-il.
— Vous savez, on respecte un homme qui se respecte lui-même, objecta la jeune femme avec impertinence. C’est ce qu’a dit Balzac. Vous connaissez, non ?
M. Tomaze se contenta de lui ...
... lancer un regard menaçant.
— Et vous êtes un homme qui se regarde avec beaucoup de lucidité, mais pas beaucoup de respect, reprit Liana, impitoyable.
— Allez-vous vous taire ? Qu’est-ce qui vous amène ici, d’abord ? On peut savoir ?
La brutale grossièreté de l’écrivain ne sembla pas décourager la jeune femme.
— J’ai beaucoup réfléchi à votre cas, annonça-t-elle avec un grand sourire.
Un peu déstabilisé par ce fait étrange de la part de Liana, l’homme se garda bien de dire quoi que ce soit. Il la regarda seulement avec un peu plus d’intérêt.
— Je vois que vous ne dites rien. Je comprends. Parce que vous ne savez pas à quoi j’ai pensé, hein ? Quoiqu’il en soit, j’ai pris une décision.
— Ah ? Et on peut savoir laquelle ?
— Nous allons faire une trêve, tous les deux, dit-elle gravement. Nous sommes incapables de nous rencontrer sans nous disputer, et moi j’ai horreur de ça. Alors j’aimerais bien que nous sachions tempérer nos émotions.
— Parlez pour vous… répondit Tomaze avec ironie.
— Vous voyez, par exemple là, vous avez été incapable de retenir cette remarque inepte et inutile. Ça pourrait me vexer, qu’en savez-vous ? Il me semble que nous sommes aussi concernés l’un que l’autre par ma nouvelle directive.
L’écrivain retint la réplique bien sentie qu’il avait sur le bout de la langue. Par ailleurs, elle n’avait pas tort, cette petite personne. Malgré son désespoir presque tangible et tout ce qui allait avec, elle avait de la classe, de l’intelligence, de ...