1. Toute une vie


    Datte: 19/07/2020, Catégories: ff, amour, volupté, mélo, Auteur: Ortrud, Source: Revebebe

    ... Fraülein Julia Horst ; normalement, vous auriez dû recevoir un officier, mais vous êtes seule et vraiment trop jeune, Fraülein Julia habitera ici, c’est un ordre, Monsieur le Maire sera responsable de vous.
    
    Le pauvre maire de cette commune aujourd’hui disparue tortillait son chapeau et faisait des yeux suppliants à Thérèse, qu’il aimait bien parce qu’elle lui faisait les papiers de la Mairie et tenait le registre des délibérations.
    
    — Thérèse, tu peux être rassurée, j’ai réussi à obtenir que tu loges une femme-soldat, regarde, elle a pas l’air si terrible.
    
    Thérèse avait peur, très peur, de cette femme au chignon tiré, en uniforme gris, aux yeux de la couleur de la boucle de son ceinturon, acier, qui ne souriait pas du tout.
    
    Fraülein prit la chambre de grand-père, avec un lit provençal et des rideaux en toile de Jouy un peu passés. Elle fut très surprise de ne pas voir de salle de bains, juste un appentis avec une pile alimentée par une caisse dans les combles qu’on remplissait avec une pompe à main.
    
    Ces Français n’ont aucun sens de l’hygiène. Là, elle avait raison.
    
    Le matin, la voiture grise s’arrêtait, Julia partait ; le soir, la voiture grise s’arrêtait, Julia revenait. Sans un mot, juste un bref signe de tête. Thérèse sillonnait la campagne à vélo, avec Louise attachée dans un petit fauteuil en osier, elle écrivait des lettres pour l’une, taillait la vigne pour une autre, lavait une grand-mère, gardait un enfant, passait à la Mairie, grappillait avec ...
    ... l’autorisation d’un propriétaire et cultivait son jardinet où l’enfant se crottait jusqu’aux oreilles.
    
    Julia ne parlait jamais, pendant ses jours de repos. Elle allait quelquefois en ville mais le plus souvent, elle s’allongeait dans un transatlantique de toile rayée comme un barnum de forain et lisait. Quelquefois, elle mangeait sans se lever, ou lavait son petit linge en grognant contre la rusticité du lavoir à l’eau exclusivement froide.
    
    Thérèse n’osait pas parler mais elle s’habituait à la silhouette de Julia, elles se ressemblaient un peu, blondes et minces, mais ce n’était pas difficile d’être mince dans ces temps.
    
    Et la guerre se lézarda en quelques semaines. Un dimanche, Julia vint faire sa lessive à côté de Thérèse, et elle avait du savon, elles étendirent leurs culottes et leurs chemises sur le même fil.
    
    — Vous savez Mademoiselle, je ne sais pas si nous gagnerons cette guerre, mais si on envoie trop de soldats ici, ils finiront par jouer aux boules et boire de… comment dites-vous, du pastis.
    
    Quel accent, quelle voix grave, une mélodie schubertienne ; Louise ne s’en lassait pas, et c’est comme ça qu’elle fit connaissance avec les genoux de Julia, "Hopa, hopa, reiter" de Julia remplaçait "Au pas, au trot, et au galop" de Thérèse.
    
    Thérèse n’était pas patriote, elle était une femme et elle était contente d’entendre un pas dans la maison.
    
    Toc ! Toc !
    
    — Ja, herein !
    — Fraülein Julia…
    — S’il vous plaît, Thérèse, Julia suffira.
    — On m’a donné un gros ...
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