Toute une vie
Datte: 19/07/2020,
Catégories:
ff,
amour,
volupté,
mélo,
Auteur: Ortrud, Source: Revebebe
Comme il fait chaud devant la maisonnette des confins d’Aix-en-Provence : la sieste est finie, l’enfant joue sur le pavé de la terrasse, inconsciente de la guerre qui l’entoure et secoue le pays, révélant les laideurs et les héroïsmes.
Elle vit avec sa mère, toute jeune femme seule, échouée là depuis l’exode du Nord, emportée dans une tourmente qui ne la concerne presque pas. Ce pourrait être un roman comme il y en a tant ; un train, des chevaux, des charrettes, des jeux interdits où on risque toujours de se perdre dans une gare surpeuplée de misères et de larmes.
Mais ce n’est pas exactement cela ; aucune conscience n’habite l’enfant qui découvre seulement le jeu des ombres et s’esclaffe du jeu du chaton qui la dépasse en habileté.
Elle va grandir à l’ombre du tilleul, se mettre debout en s’appuyant sur le mur du puits dont on tire l’eau bleue qu’on fera ensuite chauffer sur la cuisinière de fonte pour la baigner, tout doucement.
Sa jeune mère babille, elle chantonne, pas trop fort, et se souvient : la passion encore presque adolescente pour ce joli garçon, si tendre qu’elle n’a pas résisté. La vie dans son village ardennais n’était pas si drôle, même si on sait la puissance de la mémoire du Nord, qu’on parcourt en pèlerin et en travailleur.
Bien sûr, son ventre s’est arrondi, on ne savait rien à l’époque, sauf que cela ne devait pas arriver mais que ça arrivait, souvent, et qu’il y avait des quantités de Violette Nozière.
Il ne restait plus qu’à baisser ...
... la tête ou faire un ange si on appartenait à une famille normale, c’est-à-dire pauvre, ou se marier très vite, pour que le comptage sur les doigts à la naissance du rejeton fasse presque neuf.
Au fond, ce n’était pas si mal, mais pour Thérèse on trouva une autre solution. Dès que l’enfant serait né, un peu loin, vers Amiens, on l’enverrait dans la maison du grand-père, en Provence, parce qu’on ne savait pas trop quoi en faire, que le grand-père était décédé depuis peu et que si on ne faisait pas quelque chose, la maison serait bientôt en ruines et qu’après tout, Thérèse se débrouillerait bien. Le garçon, pêcheur de lune, qu’il aille au diable et il y alla, Thérèse n’était pas seulement enceinte mais aussi circonvenue ; défense de la voir.
Il insista, tempêta, puis, lassé, il abandonna, et se fit tuer sur la ligne Maginot.
La guerre fut une bonne raison de hâter le départ de telle sorte que l’arrivée à Aix se fit en Juillet et que, jusqu’à la fin de la drôle de guerre, l’enfant grandit sans confort, mais dans la paix de ce pays qui n’était pas fait pour les autoroutes et le béton, mais pour les gens âgés et les enfants qui battent des mains.
Oh cette maison, une maisonnette, flanquée d’un jardin de curé et d’un petit bois de chênes aux limites incertaines, mais aussi grand que l’Amazonie.
Et la guerre arriva ; elle déboula sur le chemin sous la forme d’une auto grise, de deux géants en casquette feldgrau et d’une souris grise. Réquisition. Madame, vous logerez ...