1. L'Histoire de la Femme qui Valait Onze Vaches


    Datte: 06/07/2020, Catégories: conte, Auteur: Alain Garic, Source: Revebebe

    ... que pour le nôtre.
    
    Sahidi ne sut pas quoi répondre. Sa voix ne sortait plus. Presque machinalement, il laissa les cordes de son instrument répondre à sa place. Le premier accord l’immergea dans le monde de la musique et il fit abstraction de son entourage, aveugle, absent, ne faisant plus qu’un avec les émotions que traduisaient ses vers, simple médium entre la pureté de la poésie et les cœurs attentifs de son auditoire. C’est pour cette raison, je crois, qu’il ne conserva aucun souvenir précis de cette soirée. Juste cette émotion qui fit longtemps briller ses yeux lorsque, par la suite, il y repensa parfois. Il s’amusa de ses plaisanteries répétées, il pleura sur ses chansons tristes comme s’il les entendait pour la première occasion, il fût ému par ses propres mots d’amour qu’il avait pourtant appris par cœur et ressassés des centaines de fois. La transe et l’extase durèrent jusqu’au matin.
    
    Quand il reprit ses esprits, seul le seigneur Daha était encore présent. Une larme au coin de l’œil, il écouta la dernière mélopée s’éteindre dans la voix de Sahidi. Le silence qui suivit l’arpège final, s’il fut long, n’en fut pas pesant pour autant. Les deux hommes restèrent face à face sans éprouver le besoin de parler. Puis, Daha prononça ces mots simples :
    
    — Merci, Sahidi, mon ami.
    — Merci à toi, seigneur Daha, répondit Sahidi, car l’artiste n’est rien sans l’auditeur qui lui accorde son attention et j’ai trouvé chez toi une audience parfaite sans laquelle jamais je ...
    ... n’aurais pu chanter si bien et si longtemps.
    — Alors je suis heureux que nous ayons pu si bien nous entendre et passer tous les deux une bonne soirée. Mais maintenant dis-moi, dis-moi la vérité. Pourquoi être venu jusque dans ma ferme, quand tu pouvais trouver aux maisons du village de quoi te reposer et remplir ta panse ?
    — C’est parce que des hommes, avoua Sahidi, rencontrés au marché, m’ont affirmé que tu avais acheté ton épouse au prix de onze vaches, et que jusqu’à la voir je n’y aurais pas cru.
    — Et maintenant, qu’en penses-tu ?
    — Je crois que jamais femme ne fut aussi belle et que tes onze vaches, son père ne te les a pas volées. Tu as bien de la chance d’avoir pu rencontrer une telle femme.
    — Et moi, je crois que tu te trompes. La chance, dans mon bonheur, n’a pas grand-chose à voir.
    — Que veux-tu dire ?
    — Et bien, quand j’ai rencontré Daliésa, certes elle était très belle, mais un homme ordinaire n’en aurait pas donné plus de, disons, sept vaches. Moi, sans hésitation, j’en ai proposé onze.
    — Pourquoi donc ?
    — Parce qu’elle n’a cessé, depuis ce jour, de s’embellir, car elle était heureuse et fière de cette valeur qu’on lui reconnaissait. Et elle est devenue digne du mérite qu’on lui accordait. Partout dans le pays on dit d’elle qu’elle est la plus belle de toutes et cet éloge la flatte et élève sa grâce, affirme sa confiance, soutient son élégance. Chaque jour, en quinze ans, elle se vit plus belle que le matin d’avant. Chaque jour son regard en devint plus ...
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