1. L'Histoire de la Femme qui Valait Onze Vaches


    Datte: 06/07/2020, Catégories: conte, Auteur: Alain Garic, Source: Revebebe

    ... grand bonheur de Sahidi, grand amateur d’histoires incroyables. C’est ainsi qu’un paysan replet au visage fendu par un large et continuel sourire vanta que, près de son village, un fermier avait acheté sa femme pour onze vaches.
    
    Sahidi, par politesse, fit semblant d’y croire. Le mensonge était trop énorme pour que même ses talents lyriques puissent en faire une chanson crédible. Au cours de ses voyages, il avait vu de très belles femmes, même des femmes extraordinaires, si belles que les mots les plus beaux paraissaient ternes et fades pour les décrire pleinement, mais jamais, au grand jamais, aucun homme sain d’esprit n’aurait donné onze vaches pour les épouser. C’était exorbitant. Les femmes les plus belles s’échangeaient pour huit vaches tout au plus. Même les exquises princesses des îles nacrées qui constellaient les rivages de ce pays lointain d’il y a très longtemps n’atteignaient pas dix vaches. Même la reine du pays, sauf le respect que Sahidi lui devait, n’avait coûté que neuf vaches (plus quelques avantages fiscaux et un pacte de non-agression avec son immonde pays d’origine, d’accord, mais tout de même. Et puis, honnêtement, les raisons étaient plus politiques qu’esthétiques, sauf le respect, toujours, que Sahidi devait à Son Altesse.)
    
    C’est uniquement parce que tous les autres hommes présents confirmèrent les dires de leur ami que Sahidi décida d’accorder un peu de crédit au boniment. Sa curiosité éveillée, il demanda aux hommes de lui indiquer la demeure ...
    ... de ce seigneur Daha, qui aurait payé au prix fort cette fameuse épouse.
    
    Le plus jeune allait expliquer le chemin, mais son voisin l’interrompit en posant une main sur son bras. En silence, les hommes regardèrent Sahidi avec suspicion. Dans ce pays lointain d’il y a très longtemps, les hommes avaient de petits esprits, alors on se méfiait des étrangers et, pour tout dire, on ne les aimait pas trop. Sahidi interpréta leur réticence.
    
    — Allons, mes amis, leur dit-il, vous ne pensez tout de même pas qu’un vagabond sans le sou pourrait vous dérober une femme si chère.
    — Certes non, s’esclaffa un vieil homme que Sahidi devinait plus sympathique que les autres. Car Daliésa Daha est la femme la plus fidèle et la plus amoureuse que le monde ait jamais enfantée.
    — Et ce sont certainement deux qualités si rares qu’elles valent à elles seules une ou deux vaches en plus, fit remarquer Sahidi que sa trop intime fréquentation des humains rendait parfois cynique.
    
    Mais personne ne sourit. Apparemment, la déesse locale n’était pas un sujet de plaisanterie acceptable.
    
    Sahidi s’excusa humblement, car tel était l’usage, et promit aux hommes présents de composer la plus belle des ballades pour vanter les mérites de cette merveilleuse femme, et par conséquent de leur village entier, partout où il irait. L’idée en séduisit plus d’un et on lui indiqua la route qui menait au domaine du seigneur Daha, par-delà les collines au nord de la ville.
    
    Après un dernier morceau pour remercier son ...
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