Fin du monde sur canapé
Datte: 03/06/2020,
Catégories:
sf,
Auteur: Hidden Side, Source: Revebebe
... surface de la Terre.
La mère d’Alain, une dame âgée vivant seule dans le centre de Paris, avait téléphoné un soir à l’occasion du trente-septième anniversaire de son fils. L’entretien, au départ cordial et empreint d’amour maternel, avait rapidement viré en une litanie de reproches autour d’un sujet central : l’absence remarquée du fils unique et de sa famille, ne venant plus jamais la voir.
— Je ne te comprends pas, Alain ! Passer tout ton temps libre sous terre, comme une taupe !
— Mais Maman, voyons, ce n’est pas du t…
— Vous me faites vraiment penser à cette secte américaine dont on a parlé aux infos.
— Quelle secte ? Qu’est-ce que tu racontes ?
— Des pauvres gens dans les montagnes Rocheuses, qu’une espèce de gourou mène par le bout du nez en leur prédisant l’apocalypse. Ils se terrent dans leurs abris antiatomiques depuis des mois.
— Ça n’a rien à voir, et tu le sais !
— Tout ce que je sais, Alain, c’est que je ne te vois plus du tout. Je me fais vieille. Un de ces jours, je ne serais plus là, et il sera trop tard pour regretter ton attitude…
Il avait raccroché, ulcéré par le ton employé par sa mère. Du chantage affectif, à présent ! Que croyait-elle ? Il n’avait plus dix ans et décidait seul de la manière de mener sa vie ! Faisant les cent pas dans son salon, Alain tenta d’oublier sa mauvaise conscience. Une fois l’abri modernisé, Élodie et lui seraient à nouveau plus disponibles. Il se promit une chose : dès que la salle de jeu de Manon serait prête, ...
... il passerait un peu de temps avec sa vieille mère. Alain ne le savait pas encore, mais il venait de lui parler pour la dernière fois. Il n’y aurait pas d’autres occasions d’amender l’aigreur et la frustration de ces ultimes échanges téléphoniques.
Le surlendemain, premier samedi de septembre, alors qu’un temps idéalement doux régnait sur la capitale, Alain Durieux, une spatule à la main, décollait de larges bandes de papier fleuri dans l’ancienne chambre à coucher des Keller. Il avait passé tout l’après-midi dans le bunker, à racler la tapisserie défraîchie. Malgré la chaleur de la décolleuse à papier peint, il faisait frais à douze mètres sous terre, heureusement pour lui. Absorbé par sa tâche, il écoutait d’une oreille distraite Prince miauler"You don’t have to be beautiful to turn me on… ", quand le téléphone se mit à sonner. Baissant le son de la microchaîne portable, il se dirigea vers l’antiquité à cadran qui décorait le mur du couloir. Dans un abri antiatomique, bloquant toutes les ondes y compris celles des réseaux de portables, cette relique des années soixante leur était fort utile pour être joints.
Quand il décrocha le combiné en bakélite noire, une voix gémit dans l’écouteur :
— Alain ! Tous ces pauvres gens ! C’est horrible…
— C’est toi Élodie ? Qu’est-ce qui se passe ?
Durant un long moment, il n’entendit que la respiration saccadée de son épouse, visiblement en proie à une émotion violente. En fond sonore s’élevaient des cris, des jurons, des pleurs ...