1. Fin du monde sur canapé


    Datte: 03/06/2020, Catégories: sf, Auteur: Hidden Side, Source: Revebebe

    ... personnel efficace et dévoué, recevant tous les soins nécessaires. Profanant cette pensée réconfortante, une ritournelle hallucinée s’éleva soudain sous son crâne :
    
    — Élodie et Manon sont mortes, tu ne les reverras jamais ! Mortes, mortes, Élodie et Manon…
    
    Une autre représentation mentale s’imposa alors, insufflant une haine dévorante dans le cœur d’Alain : les responsables de cette impensable escalade, bien à l’abri dans leurs bunkers souterrains. Saloperie d’intégristes ! Comment pouvait-on être assez fou, assez inconscient pour déclencher pareille catastrophe ?
    
    Mais lui-même, n’avait-il pas été tout aussi fou, quand il avait essayé d’ouvrir la porte blindée ? En repensant à sa réaction de la veille, Alain frissonna. S’il avait pu débloquer le sas, que lui serait-il arrivé ? Il errerait au hasard parmi les ruines, brûlé jusqu’à la moelle, vomissant son sang, perdant ses cheveux par poignées. Une agonie lente, atroce, insoutenable. Et, par-dessus le marché, un sacrifice parfaitement inutile vis-à-vis de sa famille.
    
    Il eut soudain la certitude que son existence allait se terminer dans ce sarcophage de béton, qu’il y était enterré vivant, en quelque sorte. Une angoisse incoercible monta en lui. Pour la première fois de sa vie, il éprouvait le malaise terrifiant propre aux endroits confinés, ce sentiment d’être pris au piège, cette sensation d’étouffement… Il lutta de toutes ses forces contre la panique menaçant de l’envahir. Il devait réagir rapidement, focaliser ...
    ... son attention sur quelque chose de concret et d’anodin. Sous peine de sombrer dans la folie.
    
    Alain revint au salon, cherchant comment occuper son esprit sinon ses mains. La bibliothèque ? Parcourant les rayonnages, son regard s’arrêta sur la reliure rouge d’un fascicule. Il s’en empara, le feuilletant avec nervosité. Des schémas électriques, des croquis de machines en coupe, un fatras de détails techniques. Puis, vers la fin de l’ouvrage, une vieille photo. La surprise lui fit presque lâcher la brochure. Face à l’objectif, un couple souriait. À leurs côtés, leurs trois enfants étaient alignés par taille décroissante. La tenue vestimentaire des protagonistes évoquait les années soixante-dix, ce que confirmait la faible qualité du cliché.
    
    La famille n’avait rien de particulièrement remarquable. Ce qui l’avait frappé, c’était le lieu dans lequel ils avaient été photographiés. Tous les cinq se tenaient exactement au même endroit qu’Alain. Dans le salon de l’abri antiatomique.
    
    — Tiens donc, siffla Alain entre ses dents. La famille Keller !
    
    Il lut plus attentivement le titre de la brochure. Il s’agissait d’une documentation sur l’abri, rédigée par le docteur Yann Artemus Keller. Alain se dirigea vers le canapé, pour parcourir plus à son aise le fascicule. Celui-ci débutait par une bien étrange introduction…
    
    Je ne sais pas si cette notice sera un jour d’une quelconque utilité. Peut-être m’y replongerai-je moi-même dans un lointain futur, lorsque je serai trop sénile ...
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